Comparateur de rachat de crédit

A Toyota, le chômage technique casse la grève


ÉCONOMIE - «Ils font des bénéfices sur nos bras.» C’est la fin de la grève mais pas la fin de la colère, à Toyota Onnaing. Sur le parking de l’usine, les grévistes ont voté hier la «suspension» de leur grève pour lundi, mais continuent de réclamer une prime de 800 euros(1) pour le lancement de la nouvelle Yaris, et un treizième mois. Ils expliquent qu’avec des salaires autour de 1 250 euros par mois, ils ne s’en sortent pas. Il y a presque deux semaines, la grève a été lancée sur un slogan : «Tout augmente, sauf les salaires.»

«Putain de réveil». Dès 4 h 30 au rond-point qui mène à l’usine, les grévistes distribuent leur Journal de la grève. «Y a pas de chef ici, on est bien, dit Sullivan Richez, délégué FO. Les non-grévistes discutent.» La plupart prennent le tract, s’arrêtent. Derrière, ça bouchonne. «Ça se répercutait sur 7 km, hier», raconte Angélique. Huit ans d’ancienneté, entre 1 200 et 1 350 euros selon le mois. Elle détaille : «Une voiture chacun, le logement à rembourser, le gazole, la nourrice à payer.» L’essence à 2 euros, ils sont tous au courant. «Moi, entre le PDG de Total et Sarkozy, je crois le PDG de Total.»

Au volant de son camion, un Tchèque se marre. Il explique qu’il fait la navette entre «France» et «England». Il veut bien s’arrêter, prendre le tract. Un gréviste : «Encore un qui doit pas souvent voir sa famille.» 5 h 30, à l’usine, le travail démarre. Dehors, un ouvrier force le bouchon. Un autre s’arrête : «Je les soutiens. J’ai fait grève en 2009, mais là, financièrement, je ne peux pas.» Un non-gréviste rigolard au volant : «Deuxième retard en neuf ans… Putain de réveil !» Un policier passe, tâte la température, repart. «C’est malheureux à dire, mais eux, au moins, ils nous écoutent.» Allusion à la direction qui ne veut pas recevoir le comité de grève.

Le soleil se lève. Dans les locaux des syndicats, sur le parking, on parle pouvoir d’achat. Un ex-travailleur de nuit : «Je suis passé de 1 500 à 1 250 euros, quand ils ont arrêté l’équipe de nuit. Nos factures, elles, elles changent pas.» Ou à la hausse. Encore le litre de super : «On va tous venir en tandem !» Un autre ouvrier de nuit. «On n’avait qu’une voiture, on s’arrangeait avec ma femme, puisque j’étais de nuit. A présent, impossible d’acheter une autre voiture. Les 250 euros que j’ai perdus, c’est le crédit voiture. Mes collègues sont obligés de se lever plus tôt et font un détour pour passer me chercher.» Un autre vient de Lens : «280 euros par mois, remboursés 160…» Payés avec un salaire de jour, mais debout à 3 h 30, raconte Grégory. «Et le vendredi, 3 h 33, c’est ma grasse matinée !»

«Poulets». «Quand on dit qu’on s’en sort pas, la direction répond : "Faut apprendre à gérer votre budget". Mais quand le frigo pète et que vous devez aligner 500 euros, vous êtes bien obligé d’emprunter», explique Jean-Christophe Bailleul, délégué CGT . David Parquet, de FO : «On nous fait travailler comme des poulets en batterie. Dix ans d’ancienneté et on ne peut pas partir en vacances… C’est honteux.» Une prime de 800 euros ? «Mais on est précurseurs, sourit Eric Pecqueur, délégué CGT. Un ministre propose 1 000. Faut pas contredire le ministre !» Allusion à la proposition François Baroin d’une prime exceptionnelle aux salariés des entreprises qui versent des dividendes à leurs actionnaires. Ils ont été jusqu’à 1 000 grévistes, soit la moitié des ouvriers, selon les syndicats. Hier, la direction n’en comptait plus que 354. Ils arrêtent lundi à cause du chômage partiel qui démarre quatre jours plus tard. Les grévistes annoncent des arrêts de ligne, se disent prêts à cesser à nouveau le travail après le 2 mai, avec la fin du chômage partiel.

Haydée Sabéran

(Article paru dans Libération du 15/04/2011)

(1) 800 euros, c'est la revendication de départ. Elle a augmenté de 100 euros par jour, car la direction refusait de recevoir le comité de grève. A la fin de la grève, elle était de 1700 euros.