Comparateur de rachat de crédit

Le prof stagiaire se prenait pour d'Artagnan


CULTURE - Les élèves ont cru que c'est un vrai prof. Quand il est monté sur la table, règle à la main, pour raconter les Trois Mousquetaires, ils se sont regardés, ils ont pouffé, un peu inquiets. Rimbaud, Hugo, Voltaire, Dumas, le prof s'est emballé, a passé un élève au fil de l'épée. L'inspecteur «pédagogique» a saisi une guitare. Les élèves ont fini par comprendre que c'était un spectacle. .


Poupée Barbie.
C'est mercredi matin, au Lycée Léonard de Vinci de Calais, cours de français en seconde technique, une classe de garçons. La prof présente un jeune «professeur de littérature stagiaire» à la tignasse touffue. Le stagiaire a l'air timide, il explique que c'est un de ses premiers cours, sort un livre de sa malette. «Vous connaissez Voltaire?». «Candide» dans une main, quelques accessoires : lunettes géantes pour le professeur Pangloss, perruque hirsute pour la jolie Cunégonde, une poupée Barbie pour jouer la femme de chambre. «Ça va, vous suivez?». Ils suivent. Ils sont sages. Ils se regardent, jettent un oeil inquiet vers Sandrine Laures, la prof, la vraie, impassible au fond de la classe (1). Se rongent un ongle, attentifs. Se marrent quand le prof coiffe la perruque. Et puis Candide baise la main de Cunégonde, «leurs bouches se rencontrèrent, leurs yeux s'enflammèrent, leurs genoux tremblèrent, leurs mains s'égarèrent».

La porte s'ouvre, un «inspecteur pédagogique» déboule et découvre le prof hirsute, en flagrant délit de délire. Silence gêné du stagiaire. Gros yeux de l'inspecteur. Les élèves retiennent leur souffle. «Veuillez me suivre dans le couloir». Retour des deux, le prof calmé. L'inspecteur : «ça arrive parfois de se tromper un peu de chemin». Toc, toc. La conseillère principale d'éducation entre, tout le monde se lève, une fille toute menue en slim et Converses, qui se tord les mains dans son pull, est derrière elle. «Je vous présente une nouvelle camarade, tâchez d'être classe». Du fond, la vraie prof chambre un élève : «Alors, t'es content Valentin, y'a une fille dans la classe, enfin!». Un autre : «C'est ce qui manquait à Valentin, hein, madame!» Valentin a l'air content.

Mousquetaires. «Prenez une feuille, notez vos nom, prénom, classe», dit le prof stagiaire. Dictée. Il ouvre un livre, annone : «L'heure venue, virgule, on se rendit avec les quatre laquais... Vous savez ce que c'est un laquais?» «Euh...». La dictée va trop vite : «Monsieur, vous pouvez répéter s'il vous plaît? ». C'est le chapitre 31 des Trois Mousquetaires. «En garde! » Le stagiaire s'emballe, court, saisit un double-décimètre, grimpe sur une table, se bat, il est Lord de Winter, puis Athos, puis d'Artagnan. Le cours de français part en live. L'inspecteur garde son calme. Il sort sa guitare : «ce texte m'inspire une mélodie, je vais vous aider». Athos à Lord de Winter : «je vais être obligé de vous tuer, pour que mon secret ne coure pas les champs». Les gamins ont cessé d'écrire. Le prof leur demande de faire «ting, ting, ting, ting», pendant la bataille. Ils le font. «Quand vous n'avez plus d'air, vous inspirez, pour ne pas mourir». Il fait ramasser les copies, chuchote un truc dans l'oreille d'un élève, lui plante une épée dans le ventre, le môme s'écroule.

Soudain, le prof se tape le front : «J'ai oublié ma préparation sur Victor Hugo dans ma voiture sur le parking. Je vous laisse la classe deux minutes». Il sort. «C'est l'entracte », murmure un élève. Non, pas d'entracte, l'inspecteur se tourne vers la nouvelle. «Vous allez vous présenter». Il fouille dans le classeur de la jeune fille. La classe n'en mène pas large, la petite a l'air tétanisée. Il sort une copie: «vous allez la lire». Elle commence, d'une toute petite voix : «Racontez ou imaginez une situation entraînant de la violence». Il pose une chaise le bureau, lui demande de s'y jucher. «Je vais pas le dire dix fois». La fille lit un texte terrible, où il est question d'une agression dans un vestiaire. «Quand j'ai compris que le Gros Didier fonçait sur moi...». L'inspecteur l'accompagne à la guitare, plus personne n'a envie de rire.

Solo. L'inspecteur se met à lire Les Misérables, l'arrivée du bagnard Jean Valjean chez l'évêque. «La porte s'ouvrit...». Et la porte de la classe s'ouvre, c'est le prof stagiaire, de retour de son parking. «Je m’appelle Jean Valjean. Je suis un galérien. J’ai passé dix-neuf ans au bagne. Je suis libéré depuis quatre jours.... Quatre jours que je marche depuis Toulon. Aujourd’hui, j’ai fait douze lieues à pied...» L'évêque l'invite à dîner. «Tout le monde m’a jeté dehors. Voulez-vous me recevoir, vous ? Est-ce une auberge ?» Accordéon. Quand le spectacle se termine, l'austère inspecteur est à genoux, les yeux fermés, dans un solo de guitare électrique. Applaudissements. Un élève : «Ils peuvent revenir demain madame?»   Un autre : «Valentin, il est dég' que ce soit pas une fille de la classe».

Haydée Sabéran

Spectacle accompagné par scène nationale de Calais. , mise en scène de Jean-Charles Thomas. Avec Max Bouvard, Martin Lardé et Natalia Wolkowinski.

(1) Libé Lille, dans le fond de la classe aussi, s'est fait passer pour «une collègue de l'IUFM».