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«Ils ont mis les mineurs marocains à la poubelle»


TÉMOIGNAGE - Il raconte son histoire, mais refuse de dire son nom. «Vous n'avez qu'à m'appeler le mineur marocain». Avec une centaine de ses anciens collègues, marocains, retraités des mines, il occupe le jardin de l'Agence nationale de garantie des droits des mineurs à Noyelles sous Lens, pour réclamer le logement et le chauffage gratuit, comme ses collègues plus âgés, en majorité français et européens.

 Muscles. «Je suis arrivé en France en 1976, j'avais 24 ans. Avant, j'étais ouvrier à Ouarzazate. Les Charbonnages sont allés chercher les ouvriers au Maroc pendant les années 60 et 70 pour travailler au fond. C'est Monsieur Mora qui m'a recruté, il est connu au Maroc (Félix Mora, recruteur pour Charbonnages de France au Maroc, ndlr). C'est lui qui choisissait les ouvriers costauds. On nous a dit «lundi, Monsieur Mora sera là», et le lundi, tout le monde était présent. Il a regardé notre santé. Il fallait enlever sa chemise, et tout le monde passait devant lui. Si on avait les muscles, c'était un tampon vert ici. (Il montre sa poitrine, en haut à gauche). Sur la peau, oui. Il avait les mains dans le dos, le tampon dans la main. Les autres, c'était un tampon rouge dans le dos.

«Après, c'était la visite médicale, les yeux, les oreilles. Et puis rendez-vous la semaine d'après à l'hôpital, à Marrakech, pour la troisième visite. A chaque fois, il y avait des gens qui partaient. On nous choisissait comme des tomates au marché : vous regardez trois kilos, et vous en gardez un seul. À l'hôpital, on a fait des radios, les poumons, ils ont encore tout examiné. Il y en a encore qui se sont fait rejeter. Si on avait un petit bouton quelque part, on était refusé.

Grands bureaux. «Après, ils ont préparé les papiers. Et j'ai attendu encore deux ans pour un rendez-vous. Je suis arrivé en France en octobre 1976. J'ai fait ma quatrième visite médicale aux Grands bureaux, à Billy-Montigny. Sur les 21 personnes qui passaient la visite ce jour là avec moi, il y en a un qui a été refusé. Il aurait dû être renvoyé au Maroc, mais il s'est sauvé à Paris.

«J'ai été 13 ans au fond, et puis j'ai fermé la Fosse 5 de Sallaumines en 1989. C'est pas nous qui avons décidé de fermer les mines. J'avais le choix entre toucher 150.000 francs et retourner au Maroc, ou choisir le congé d'adaptation professionnelle. J'ai signé pour ce congé, ça voulait dire aussi perdre les avantages en nature le logement gratuit et le chauffage, en échange, j'ai touché 150.000 francs. J'ai été embauché dans le bâtiment, l'entreprise a touché de l'argent des Houillères pour m'embaucher (30.000F, ndlr). Puis elle m'a licencié sans motif.

Métro. «J'ai dû partir à Paris, pour travailler dans les tunnels du métro, j'ai aussi été un peu au chômage. En tout, je touche 600 euros par mois de retraite, dont 450 de mines. J'ai un loyer de 412 euros, je dois le payer depuis que mes enfants ont grandi, et que le loyer n'est plus couvert par l'Aide au logement. Comment je fais? J'y ai droit. Nous les Marocains, on a défendu la France pendant la guerre, on a reconstruit la France. Et maintenant, ils ont mis les mineurs marocains à la poubelle.»

Recueilli par Haydée Sabéran

DÉCRYPTAGE  - Pourquoi les mineurs marocains se disent-ils discriminés? Après la fermeture des derniers puits dans les années 1980, les mineurs marocains, comme les collègues de leur génération, celle des derniers embauchés à la mine, ont converti en capital les avantages en nature que les mineurs percevaient à vie, comme la gratuité du logement. Ils ont perçu autour de 200.000 francs en moyenne, plan de conversion compris. Mais quelques années plus tard, après avoir traversé le chômage et la précarité, illettrés dans leur immense majorité, ils se retrouvent à la case départ : ont perdu le logement et le chauffage gratuit, et vivotent avec de minuscules retraites. Leurs enfants ont grandi, et leur logement n'est plus couvert par l'aide au logement. Leurs collègues français et européens, mieux formés, ont été embauchés dans des entreprises publiques, comme EDF, ou ont un peu mieux réussi à se former et à terminer, tant bien que mal, une carrière.

Leurs prédécesseurs plus âgés, en majorité français et européens, avaient pu prendre leur retraite sans perdre ces droits. Même chose pour ceux qui avaient 20 ans d'ancienneté. Or les mineurs marocains, embauchés dans les années 60 et 70 avec des contrats précaires pour permettre la fermeture des mines, et n'ont passé qu'une quinzaine d'années à l'abattage du charbon. Une grève solidaire, en 1980, leur a permis d'acquérir le statut du mineur. Mais n'a pas empêché la fermeture des puits, bien avant la fin de leur carrière.

H.S.