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«J'irai voter, mais pas comme avant»


POLITIQUE - Au soleil sur le piquet de grève, devant sa raffinerie menacée, à Dunkerque, Hervé ira voter, «comme toujours». Sans illusion : «Qu'est-ce qu'ils peuvent faire, les politiques à la Région? Ils n'ont pas d'emprise sur les multinationales. Le gouvernement a déjà du mal». Devant la petite caravane bariolée de graffitis, on ramène du bois, on se relaie dans l'usine pour la sécurité des cuves. Sous une cabane de palettes et de bâches, il y la télé, «pour le cas où on parle de nous», un coin salon, un poêle en bidon, avec porte bricolée et tuyau. Les salariés font grève contre la fin du raffinage. Ils ont vu passer des dizaines de politiques.

En haut de leur palmarès, «ceux qu'on a vu plus que d'autres» : le maire socialiste de la ville voisine de Grande-Synthe, et la liste «Front de Gauche» aux régionales. Pour les autres? «Certains, ce sont des barons qui se déplacent, grince Benjamin Tange, délégué CGT. Il suffit de voir comment ils sont fringués». Michel Delebarre, maire de Dunkerque, est passé un matin à 7 heures. «Il nous a dit : «Je suis pas le patron de chez Total », ça on le savait», raconte Hervé. Philippe, dit «Astérix» à cause de la moustache : «Jeter des harengs(1), c'est tout ce qu'il sait faire». Benjamin Tange : «C'est pas Sarkozy qui gouverne. C'est le Medef. Ils veulent délocaliser, ils délocalisent». En quelques mois, le chômage est passé à 12,5%.

«On ne sait même plus pour qui voter ni à qui faire confiance», dit Rémi, 28 ans. «Total fait d'énormes bénéfices, puis décide d'arrêter sa raffinerie la plus récente. On pouvait prendre les devants. Fabriquer du gasoil à partir d'algues marines par exemple». Il voudrait «des lois pour empêcher les entreprises bénéficiaires de délocaliser». Benjamin Tange pense qu'il faut voter pour «sanctionner le gouvernement et faire cesser la casse industrielle».

«Astérix», ça lui rappelle la fermeture des chantiers navals de Dunkerque en 88, «avant les élections aussi». Il est devenu intérimaire «à Saint-Nazaire, en Italie, pas souvent chez moi. Les enfants, je les ai pas vus grandir». Il rêve d'un «petit mai 68», hésite «entre le Front de Gauche et le Front National». Les autres regardent leurs chaussures. Le délégué : «Le FN, ils sont contre les grèves». A Saint-Pol sur mer, juste à côté, le FN a connu une poussée à près de 40% en 2002.

Total avait choisi de reporter l'annonce de fermeture au 29 mars, après les élections. C'est la grève qui l'a obligé à sortir du bois. «Le droit de vote, il y en a qui se sont bagarrés pour l'avoir», dit Jean-Luc, «j'irai voter, mais pas comme avant» L'accueil par les CRS «avec matraques et gaz lacrymogènes» l'a rendu amer. «On était venus avec des fifres et des tambours (du carnaval, ndlr), pour montrer les valeurs de Dunkerque, raconte Tange, Voilà la réponse». Jean-Luc : «Il y a quelque chose de cassé».

Dans cette usine de pointe, où la plupart des ouvriers ont le bac ou un BTS, Hervé se demande ce que feront ses enfants, si l'industrie continue à fermer boutique. «Ils ne seront pas tous médecins». Et puis «avec la suppression de l'histoire géo, pour avoir une conscience politique, il va falloir qu'on leur donne des cours d'histoire».

Haydée Sabéran

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