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Wali l'orphelin, de Kaboul à Calais


TÉMOIGNAGE - « J'ai l'impression d'avoir 80 ans », dit-il. Il n'en a que 22. Wali Mohammadi, est né à Kaboul. Après avoir perdu une soeur, deux frères, son père, puis sa mère, après avoir été torturé à 12 ans par les talibans, il a pris la route, et échoué à Calais en plein .

A 15 ans, il traverse l'Asie, puis l'Europe, à pied, à cheval, en camion, en canot pneumatique. Clandestin, affamé. A Calais, la famille Loeuillieux le recueille et l'envoie à l'école. Il a confié son histoire à Geoffroy Deffrennes, correspondant du Monde à Lille. Extraits.

«Wali, cache-toi!». L'histoire commence à Kaboul, un jour de 1999, Wali revient du marché. Un petit voisin de six ans court vers lui.
«- Wali, cache-toi, cache-toi!
- Eh, ôte-toi de mes jambes, tu vas faire tomber mes courses, qu'est-ce qui se passe?
- C'est les barbus, ils vont te faire du mal! (...)
Du bout de la rue, j'aperçois quelques types en turban plantés autour des véhicules. À cet instant, le le vois. Mon père. Sortant de la maison, deux barbus le tenant par les bras, un autre le poussant, le frappant dans le dos
». Le père, vétéran de la résistance anti-soviétique, refuse de dire où se trouvent les armes qu'il cache, il meurt quelques mois plus tard sous la torture. A 12 ans, l'enfant le plus âgé de la famille devient une proie, les talibans l'interrogent. «Jusqu'au mauvais coup de trop qui me fait perdre conscience». Ils le laissent pour mort dans un cimetière. Des passants le portent chez un médecin. «L'homme va me sauver la vie».

«Parfois les passeurs frappent». Ce qui reste de la famille paie un passeur et fuit en Iran. L'enfant de 13 ans travaille entre 9 et 15 heures par jour pour 75 euros par mois. Sa mère fabrique des fleurs artificielles. Ils survivent, supportent le racisme anti-Afghans «omniprésent». Le garçon rêve d'Europe. «Je suis mineur, si j'arrive en Angleterre je peux obtenir la venue de ma mère, ce qui faciliterait peut-être celle de mon petit frère. J'explique tout cela à ma mère. Elle hoche la tête, résignée. Et pleure». Dans les montagnes du Kurdistan, les passeurs sont à cheval, les voyageurs à pied. «Parfois les passeurs frappent les plus gros du groupe, qui n'avancent pas assez vite à leur goût, transpirant et respirant avec difficulté». Mais ils sont arrêtés par les militaires turcs, expulsés vers l'Afghanistan, dans une zone désertique où «il n'est pas rare d'apercevoir des cadavres de migrants désorientés, morts de soif et d'épuisement». Retour à Téhéran, encore payer un passeur.

«Maman n'est pas rentrée». En mars 2002, Wali a 15 ans, les talibans sont battus, la famille rentre à Kaboul, il retourne au lycée. Les menaces reprennent, des talibans réapparaissent, et reparlent de la cache d'armes. «Ces gens me croyaient mort. Quand ils apprennent qu'on m'a revu dans le quartier, ils veulent m'interroger. Les menaces se font précises». Et puis, le 8 août, «quatre taxis bourrés d'explosifs plongent Kaboul dans l'horreur (...). Nous apprenons l'attentat le soir, à la radio. Maman s'était rendue au marché vers 14 heures. À 19 heures, elle n'est toujours pas rentrée». Dans un hôpital, un infirmier lui montre des restes de corps. Il reconnaît ses vêtements. «Je sens l'intérieur de mon être se recroqueviller». Toujours menacé, le garçon repart. Faute d'argent, il laisse son petit frère à des amis. Kaboul, Lahore, Téhéran, les détours, le racket des passeurs, la faim. Au Baloutchistan, «nos gardes sont terrifiants. Un vrai look de tueurs, des attitudes menaçantes. Ils nous considèrent comme leurs esclaves. C'est bien ce que nous sommes puisque , au fond, les passeurs successifs nous achètent et nous revendent...».

« Nous écopons, affolés ». A Istanbul, fauché, Wali décide de franchir seul la mer jusqu'à l'île grecque la plus proche, 30 km en canot pneumatique, avec des copains. Les canots, attachés les uns aux autres, se dégonflent. Les bateaux se remplissent. «Nous n'avons qu'une pompe, on se la passe précipitamment d'un bateau à l'autre, on colle aussi nos bouches aux embouts... Nous écopons, affolés. (...) La panique nous gagne tous». Les lumières de la côte d'en face se rapprochent. Une semaine avant, dix-huit personnes en canot à moteur s'étaient noyées. Sur l'île grecque, une merveille : des femmes en jupe, et en cheveux.

«Mieux vous êtes dissimulés, plus les militaires frappent fort». A Patras, toujours fauché, nouvelle tentative, avec un copain. Un camion pas verrouillé, les deux garçons courent. «L'occasion est inespérée. Je vois un tas de palettes vides. Je me retourne vers Vahid, on se regarde. Chacun sait ce que pense l'autre. C'est lui ou moi. Impossible de grimper ensemble : l'un des deux doit verrouiller la porte de l'extérieur (...). Vahid me fait signe d'entrer dans la remorque. Je ne réfléchis plus, je saute, je me faufile entre les palettes». Les portes s'ouvrent : contrôle. La peur, le coeur battant. Les militaires font sortir quatre Kurdes, pourtant mieux cachés, et frappent. «J'entends des pleurs. Mieux vous êtes dissimulés, plus les militaires frappent fort». Wali retient son souffle, les militaires grecs ne le trouvent pas. Il passe 36 heures dans le camion avec des raisins secs et des amandes. A l'arrivée, il ne le sait pas encore, mais il est à Venise. Il rejoint Calais en train, le 2 janvier 2003, après trois mois et demi de voyage et 3.850 euros dépensés. Le centre de Sangatte a fermé quelques semaines plus tôt.

«Les CRS tentent de nous dégoûter». Il grelotte, échappe aux avances d'un pédophile, erre . Les Afghans de Calais lui annoncent la couleur. «ici, c'est plus compliqué. On se fait contrôler et chasser sans arrêt. Les CRS ne peuvent pas vraiment nous coffrer, alors ils tentent de nous dégoûter, ils brûlent nos affaires, ils nous embarquent et nous déposent le plus loin possible, sans rien. Le but est de nous pousser à rebrousser chemin». Les jours qui suivent sont interminables . «Nous observons les lumières des bateaux. Le Sea France Renoir ou d'autres énormes navires embarquent sous nos yeux des camions tentateurs. Je sens ma résistance diminuer. Bloqué à 30 minutes de l'Angleterre, je craque nerveusement. Echouer si près du but me désespère : j'ai franchi tant d'obstacles depuis trois mois, risqué de mourir de soif dans le désert et de noyade entre la Turquie et la Grèce, je grelotte désormais au bord du Channel, harcelé par la police».

«Allez, tu es gelé, on t'emmène au chaud». Parfois, un bénévole, Charles Frammezelles, dit Moustache, l'héberge. A la cabine où les bénévoles distribuent les repas, Wali rencontre un jour Geneviève et Joël Loeillieux, militants de la Ligue des droits de l'homme. Le couple l'accueille à son tour. «allez, tu es gelé, on t'emmène au chaud. On sait ce que c'est, nos avons déjà hébergé deux fois des enfants en hypothermie». Il a eu très peur d'eux, au début, mais trop froid pour refuser. Il ne les a plus quittés. Il a réussi à faire venir son petit frère de Kaboul, avec l'aide des Loeuillieux.

Aujourd'hui, il vit à Lille, il est pâtissier, il a un passeport français. Il étudie pour passer son bac, et voudrait faire Sciences-Po. Depuis trois ans, il rêve en français. La nuit parfois, il fait encore des cauchemars.

Haydée Sabéran

Wali Mohammadi, de Kaboul à Calais, l'incroyable périple d'un jeune Afghan, récit de Geoffroy Deffrennes, Ed. Robert Laffont, 19 euros.

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Photo Bertini/Robert Laffont