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Tachdjian et «la vie mode d'empoigne»


EXPOSITION - On l'appelait El Rotringo. Un surnom qui lui venait du Rotring, le stylo graphique par excellence. C'était période Bazooka, années 80. L'excitation de ces années était graphique, aussi. El Rotringo sortait un fanzine, Sortez la Chienne, où il publiait les dessinateurs aventureux.Stéphane Blanquet, Paquito Bolino, Schlingo, Aujourd'hui, il a retrouvé son patronyme, Jean-Jacques Tachdjian. Et pour la première fois, il expose, lui seul, pas le travail des petits copains, à la Condition Publique, à Roubaix. Nom de code : No'Graphie, la Vie mode d'empoigne. Et c'est hilarant, foisonnant.

Il a ce côté massif, fort des halles, crâne rasé, impressionnant, mais heureusement la barbichette pointe en avant, qu'il n'hésite pas à entortiller au bout de son doigt dans ses temps de réflexion. Et le clin d'oeil n'est jamais loin, ni l'humour potache à deux balles. Premiers degrés, s'abstenir.

Pourquoi cette exposition ?
C'est comme pour le rock'n roll, cette expo. Je l'ai faite pour l'argent et les filles.

Plus sérieusement ?
C'est un projet de la Condition publique autour du graphisme d'auteur, organiser une série d'expositions sur les graphistes artistes.

Graphistes artistes, c'est un peu contradictoire, non ?
Je ne fais pas le distinguo, moi, entre les deux. Entre arts appliqués et arts décoratifs. Arts décoratifs, on te commande quelque chose pour un usage précis, quelque chose pour communiquer, pour faire joli, pour emballer. Mais les arts appliqués, ton tableau, si c'est une croûte... Tout dépend de la manière dont tu t'impliques dans le machin, si tu fais une reprise pertinente ou des trucs à la con. Et cela, c'est toi qui le décides. J'ai commencé en tant que graphiste, mais aujourd'hui, je ne fais plus de boulot de commande. Mon fanzine et ma maison d'édition me prennent maintenant de plus en plus de temps...

Comment voyez-vous le milieu du dessin et du graphisme aujourd'hui ?
La BD est redevenue ronronnante, c'est la fin de la création débridée. Il n'y a plus de place pour le langage graphique dans la bande dessinée. A Sortez la Chienne, on a toujours privilégié la forme sur le fond : on publiait des étrangers, on ne les traduisait pas. Ce qui m'intéressait, c'était le trait. Par exemple, plus personne aujourd'hui ne connaît Jeff Bonivert, que j'ai retrouvé par Facebook, bordel. Il ne dessine qu'avec des formes géométriques simples, comme si c'était du monographe ! Maintenant, la BD c'est une industrie, les maisons d'édition lancent des jeunes dessinateurs sur des séries, ils n'ont aucune personnalité, ce sont des tâcherons.

Et comment définiriez-vous votre style ?
Je n'ai pas de trait. J'utilise ma mémoire, mon vécu. Une grosse marmite avec toutes les choses que j'ai aimées. Rondes, douces, organiques, je veux du sexuel. Et j'en fais des kaléidoscopes.

Est-ce une rétrospective ?
Non, non, c'est pas un truc comme ça [Il prend une grosse voix] keske t'as fait, gros, pendant trente ans... Ça m'emmerdait de présenter une rétrospective. C'est plutôt un tremplin de mes intentions. J'ai eu envie de montrer les différentes cuisines qu'il m'intéresse de préparer.

A quoi ressemble l'exposition, alors ?
Il y a plein de zones, pour me foutre de la gueule des hypermarchés, avec leur espace beauté, leur espace chais pas quoi. J'ai décidé de singer un peu ça, hein, mais en Bonobo [petit singe d'Afrique centrale, connu pour son intelligence et la fréquence de ses rapports sexuels, ndlr ]. Il y a le Saint des Saintes, une cathédrale pop, avec plein de saintes et quelques iconoclastes. Faut pas oublier que c'est de l'art artistique, les cadres, ils sont dorés. On a aussi l'Espace entre les lettres, car ça fait des années que je crée des polices [de caractères, ndlr]. L'Arnaque, pour rédiger des escroqueries intellectuelles en toute impunité [Il lève son sourcil droit pour se donner un air diabolique, c'est réussi]. L'Alexandrie, Alexandra, uniquement pour les papyrus électroniques. La Delatio : vos voisins mettent de la musique à fond jusqu'à des heures où on a bu, la Delatio sert à rédiger une note à l'administration compétente grâce à cette fonte étudiée tout spécialement pour réussir vos lettres de dénonciation. [On pourrait continuer longtemps comme cela, pour la suite, alllez sur place, ndlr].

Toute une salle est consacrée à des détournements de logos, Crédit qui Mord, Trois Cuisses, etc. Pourquoi ?
Je finis avec un espèce de pied de nez au graphisme commercial. Comment peut-on être graphiste commercial, alors qu'il faudrait arrêter de vendre pour vendre ? Dans les années 80, il y a eu un moment où on s'est retrouvé dans les studios, on s'est dit qu'on voulait créer dans le présent, dans l'utile, rendre la vie belle... Qu'est ce qu'on a pu être cons ! Ils ont inventé le mot créatif, mais créatif, ne l'oublions pas, ce n'est qu'un adjectif.

Recueilli par Stéphanie Maurice

Jusqu'au 21 novembre, à la Condition publique, 14 place Faidherbe à Roubaix. De 14h à 18h. Rens. : 03 28 33 48 33.