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Une virée avec les kops boulonnais


FOOT- «Chaque match de Ligue 1, c’est comme un cadeau de Noël.» Gérard Dandréa, le président des Ch’tis boulonnais (l’un des deux kops) en sourit. Il y a cinq ans, Boulogne jouait en CFA : 4e échelon. Samedi, l’USBCO (Union sportive Boulogne Côte d’Opale) réceptionnait les champions en titre bordelais (2-0 pour les Girondins), son Yoann Gourcuff «qu’on voit d’habitude à la télé» et son Laurent Blanc : un rêve éveillé.

Les supporteurs se pincent encore. Thierry Coffre, des Ultras : «Quand j’avais 6 ans, Boulogne était en D2. J’avais un album Panini, avec tous les joueurs, et je m’étais promis que je ne le remplacerai que quand on sera en L1. Maintenant, faut que j’en rachète un.»

Fléchettes. Lundi soir, au café de l’Est, QG des supporteurs. Le champion de France, quand même… «On ne sera pas ridicule», assène le patron, Pascal Lotteau. Le transistor grésille. La partie de fléchettes s’interrompt, mauvaise nouvelle : un mois d’arrêt minimum pour Grégory Thil après son entorse à Valenciennes. Au comptoir, c’est grises mines. Thil, c’est le gendre idéal, à Boulogne. Celui qui a promis un voyage à Ibiza à ses coéquipiers pour la montée en L1. Et qui a tenu parole. Sans l’attaquant fétiche, meilleur buteur de L2 l’année dernière (18 buts), on échafaude des châteaux en Espagne : «Comme ça, les Bordelais ne sauront pas qui marquer… Ouais, et puis on a Da Rocha, Moreira, les mecs ont de l’expérience ! On est quand même premiers du Nord-Pas-de-Calais, alors…» Approbation générale. Les esprits s’échauffent, on compte sur la fatigue girondine après le match de mardi contre la Juventus en ligue des Champions. «On va gagner 1-0, on va leur faire avaler du pichon [poisson, en patois, ndlr], aux Girondins !»

Samedi midi, au stade de la Libération. Guichets fermés : les 15 206 billets ont trouvé preneurs. La saison dernière, les tribunes ne comptaient que 8 002 places. Un Ch’tis boulonnais : «On peut le remercier, le maire. C’est un mordu de foot, en deux mois de temps, il a fait les travaux nécessaires pour la montée en L1.» Un autre : «C’est pas comme l’ancien maire, qu’était plutôt port de plaisance.» Boulogne-sur-Mer, c’est deux mondes : le centre-ville, avec ses remparts et ses vieilles pierres, plutôt bourgeois. Et les hauteurs, le Plateau, le Chemin vert, où sont logés les quartiers populaires. Anciens ouvriers de l’aciérie, aujourd’hui fermée, dockers et pêcheurs : l’USBCO est leur club. Et c’est du Plateau que vient le meilleur : Franck Ribéry bien sûr. Une tribune porte son nom, qui rassemble les VIP et les deux kops. Ça fait ricaner : «Avec les 22 millions de budget du club, on pourrait même pas se payer une jambe de Ribéry !» Sur les sièges des Ultras, des panneaux en forme de maillot portent le nom des joueurs. Le chouchou, c’est «Ti Mousse», le surnom d’Anthony Lecointe, arrière latéral, que présente Jean-Claude : «Un du Plateau, aussi. C’est un gamin qui travaillait à la marée. Il commençait tous les jours à 4 heures du matin, et après le boulot il allait à l’entraînement. Il n’a eu son contrat pro que quand le club est arrivé en L2.» Bernard : «Ti Mousse, c’est 1,60 m, mais un cœur gros comme ça ! Il saute plus haut qu’un grand !»

Dans le premier port de pêche de France, la mer forge l’esprit. L’année dernière, le président de l’USBCO, Jacques Wattez, a fait réveiller tous les joueurs au petit matin pour les emmener au port. Après un mauvais match. Jean-Claude : «Faut pas faire ça aux supporteurs.» Christian Brimeux, des Ultras : «On est une grande famille ici. Les joueurs, ils nous saluent tous. Da Rocha, il ne disait pas bonjour, il avait encore l’esprit nantais. Je lui ai demandé pourquoi, il m’a dit : "Je peux pas dire bonjour à tout le monde."» Il secoue la tête, navré.

16 heures, café de l’Est. Des supporteurs girondins pointent leur nez à la porte. «Entrez, Bordeaux, bienvenue !» les interpelle Pascal Lotteau, le patron. Les Bordelais, petit foulard bleu et blanc aux couleurs de leur club, lunettes de soleil sur le front, examinent toutes les écharpes accrochées aux murs. Une seule rouge et noir, siglée du poisson bondissant, symbole de Boulogne-sur-Mer. Les autres, ce sont celles des équipes rencontrées : Valenciennes, Reims, Lesquin… Pas si chauvin que ça, le troquet. Pascal : «Dites, les Bordelais, vous êtes à combien de matchs sans défaite ?» «Seize», répondent les autres. Les Ch’tis boulonnais se rassemblent. Un des supporteurs, sa fille à côté de lui, tous deux en rouge et noir de la tête au pied, demande à une Bordelaise : «Madame, une photo fair-play avec ma petite ?» Elles prennent la pose.

Boulevards. 19 heures, coup d’envoi. «Faites entrer la chaleur du Nord», hurle l’animateur au micro. Gérard Dandréa, le président des Ch’tis boulonnais, se lamente : «Il fait beau, ils ne sont même pas dépaysés, les Bordelais, même pas un petit coup de froid.» Sur le terrain, des boulevards se creusent progressivement sous les semelles des attaquants girondins. Au bout d’une heure, ils sont béants. Le stade continue vaillamment, les kops se mobilisent. A la mi-temps, Bordeaux et ses vedettes mènent 1-0, il y a de la déception dans l’air et la seule question qui court à travers les travées n’est pas liée au résultat : est-ce que Yoann Gourcuff, réservé au coup d’envoi, rentrera en cours de jeu ? Oui, les supporteurs boulonnais auront au moins ça. Gourcuff centre : 2-0. Les tambours s’estompent. Moments de silence. Le président des Ultras s’égosille, il a la voix de Raoul de Godeswaervelde, un chanteur patoisant du Nord. Rauque, éraflée, proche de l’extinction. 2-0, c’est fini, plié, sans bavure. François, Franck et Stéphane, qui sirotent leur blonde avant de rentrer à la maison : «Ils étaient plus forts. En plus, on n’a pas eu l’impression qu’ils ont forcé.» Stéphane tient à une précision : «Le salaire de Gourcuff, c’est 360 000 euros, c’est l’équivalent des salaires de nos onze joueurs. Peut-être qu’à onze contre lui seul, on aurait pu gagner.»

Stéphanie Maurice