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Le fromage de Bergues, morceau de ch'Nord


GASTRONOMIE - Un portrait du fromage de Bergues, par Jacky Durand, dans le cadre de la série «Le goût des nôtres» dans le cahier d'été de Libération.

C’est un fromage blond comme une moisson en Flandres et rond comme la ville lui donnantson nom : le fromage de Bergues (Nord) est un monde en soi. Trente centimètres de diamètre et quatre d’épaisseur pour 2 kilos, une croûte dorée, une pâte translucide, ferme puis tendre. Toute une ambiance que l’on déguste au cœur de cette Flandres qui court autour de Bergues et dans les «wateringues», la plaine longeant le littoral.

Pour s’en imprégner, il faut prendre le TGV gare du Nord à Paris, un jour d’été indécis - averse agaçante et soleil intermittent -, changer à Lille-Flandres pour l’omnibus terminus Dunkerque. En chemin, on contemple les sillons profonds et sableux de vastes champs de pommes de terre. On débarque à Bergues, un soir, entre l’impeccable façade de briques rouges de la gare et les ateliers de la Dunkerquoise, vénérable biscuiterie à qui l’on doit quelques béatitudes sucrées comme les gaufrettes à la vanille. Le passage à niveau franchi, on pénètre dans cette cité lovée derrière ses remparts nappés de verdure et les eaux tranquilles de ses canaux. On repère vite, à son carillonnement, le beffroi de la ville, effigie de Bienvenue chez les Ch’tis qui fit la part belle au maroilles (revoir le petit déjeuner de Dany Boon), fromage au demeurant de Thiérache alors qu’il ne saurait être question d’autre fromage que de Bergues dans cette ville.

«Périclité». Les Berguois n’étant pas rancuniers, ils profitèrent de leur notoriété cinématographique et de l’afflux de visiteurs pour faire la promotion de ce fromage uniquement fabriqué dans une quinzaine de fermes des alentours. «Quand j’étais gamin, on faisait du Bergues dans toutes les fermes, raconte Paul Lammin, grand maître de la Confrérie du Bergues-Saint-Winoc qui vend le fromage à la coupe dans sa boucherie charcuterie. C’était beaucoup de travail. Il fallait traire puis fabriquer le Bergues. Au fil du temps, il y a eu de moins en moins de vaches. Ce fromage a un peu périclité. Le film a servi de tremplin à son renouveau. Les gens aiment bien repartir avec leur petit morceau, On nous téléphone de toute la France pour en expédier.»

Si l’existence du «Bergues» est attestée depuis 1554 dans les archives communales, sa destinée actuelle (plus de 100 tonnes par an) semble défier le sens de l’histoire quand on le voit fabriquer chez Jean-Noël Top (1), président de l’association Fromage de Bergues Tradition qui milite pour une appellation d’origine contrôlée (AOC). Il y a cinq ans, il a repris l’exploitation familiale : 65 hectares, quinze puis trente vaches laitières et une belle ferme flamande aux portes bleues qui s’étend en U autour d’une cour pavée bordée d’une mare. On a repéré la cave semi-enterrée exhalant un puissant parfum de fromage. C’est là que le Bergues forge son caractère durant les quatre semaines de son affinage, retourné tous les trois jours et lavé à la bière. «Le secret de mon fromage est là, dit Jean-Noël Top. Dans la flore de ma cave.» Pour faire du Bergues, il faut d’abord aller chercher les vaches au pré. «Allez les filles, on y va», dit le fermier à son troupeau filoché par Sarah, le berger beauceron.

La salle de traite est la seule concession à une modernité brillante et automatisée qui évite à Jean-Noël de se casser le dos. Les pis gonflés défilent à hauteur du regard et à peine sorti des trayons, le lait est transporté à la fromagerie. C’est une pièce humide et chaude, envahie par la lumière de la fin d’après-midi et le vacarme de l’écrémeuse, qui turbine à 6 000 tours. On fait aussi du beurre et de la crème chez les Top. Marie-Chantal, la mère de Jean-Noël, a réparti le lait écrémé dans trois cuveaux où il est en train de cailler sous l’action de la présure. Depuis bientôt quarante ans, elle reproduit les mêmes gestes en remuant soigneusement, avec une écumoire, le lait qui s’épaissit. Il faut ensuite voir son fils plonger à pleins bras dans cette masse nacrée et grumeleuse pour recueillir à l’aide d’un bout de drap ce fromage de Bergues qui déjà se forme et qu’il «triture» entre ses doigts : «Le caillé doit être homogène sinon cela se verra plus tard à la découpe», explique-t-il avant de le répartir dans des moules mis sous presse durant une nuit.

Dorées. Plus tard, le Bergues sera frotté au sel avant de partir en cave. Ce soir-là, Jean-Noël en coupa quelques lichettes que l’on dégusta avec un verre de Rouge flamande, une bonne bière ambrée. De retour à Bergues, on ne put s’empêcher de pousser la porte du Bruegel, une réjouissante taverne dans une maison à l’allure gothique. On commanda un demi de Semeuse et une tartine berguoise dont voici la recette de la confrérie du Bergues. Pour 4 personnes : quatre tranches de pain de campagne, du fromage de Bergues, 200 g de champignons de Paris et 25 cl de sauce béchamel. Nettoyer les champignons, les laver dans l’eau vinaigrée et les émincer. Préparer la sauce béchamel et incorporer les champignons. Préchauffer le four en position gril. Couper des tranches de fromage pas trop fines et retirer la croûte. Faire griller un côté des tranches de pain. Enduire l’autre côté de sauce béchamel à l’aide d’une cuillère et recouvrir entièrement avec les tranches de fromage de Bergues. Faire gratiner pour que les tartines soient bien dorées. Servir très chaud avec une bière blonde au goût et arômes levurés comme la bière d’Esquelbecq ou la Trois-Monts.

Jacky Durand

(1) Jean-Noël Top, 3 voie romaine, 59284 Pitgam. Rens.: 03 28 62 14 66