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Dans le Nord, les Nuits s'avancent en bus masqué


TRIP -  D’une brasserie electro à un pick-up cinéma, en passant par du catch déjanté, les Parcours secrets des Nuits secrètes d'Aulnoye-Aymeries ont livré leur partition détonante.

«Il va peut-être à la brasserie ?» Dans le bus aux fenêtres occultées de noir, Denise, employée municipale à la retraite, se tord le cou pour apercevoir le paysage par-dessus l’épaule du chauffeur. A André, retraité de la métallurgie assis en face d’elle : «S’il tourne à droite, c’est qu’on va à la brasserie.» Sauf que le bus ne tourne pas. «Alors là, je vois vraiment pas où ils nous emmènent. C’est vraiment secret.»

Les Parcours secrets sont devenus un classique à Aulnoye-Aymeries, dans le Nord, au festival les Nuits secrètes : on achète un billet sans savoir pour quel spectacle, et on monte dans un bus pour une destination insolite - église, grange, usine abandonnée. Dans le public, un mélange d’habitués des salles de spectacles et de curieux venus en famille. Un détour par les petites routes du bocage, le bus s’arrête devant une brasserie, au milieu des vaches. Denise : «Qu’est-ce que j’avais dit…» Une bâtisse de brique et d’ardoise, une cour pavée, la brasserie Forest, dont la devise est : «Bien faire et laisser dire». A l’intérieur, presque invisible dans la pénombre, DJ Shalom fabrique un son electro. A l’écran défilent des petits films de la Belle Epoque, histoires loufoques d’églises ensorcelées, d’araignées diaboliques, de petites filles sages qui mettent le feu à la maison et oublient les bébés sur les bancs publics. Retour dans le bus, Denise : «J’aimais mieux le concert de l’année dernière, un Américain dans une église.» Retour en ville. Les Puppetmastaz sont loin, sur la grande scène, en concert gratuit. Le lendemain, au même endroit, gratuit aussi, Pete Doherty, et le dimanche, Marianne Faithfull.

«Ours de Sibérie». Sous le chapiteau du Cabaret du danger, nouveauté du festival cette année signée Barnabé Mons, Norbert Feuillant (1) commente un match de catch sans reprendre son souffle. Où l’on apprend que «toute la tension se lit dans les regards», que le géant bedonnant Alexei Petrovitch «prétend s’être entraîné en affrontant des ours en Sibérie», et que «Mascara sangre e oro» (sang et or, couleurs du club de foot de Lens), est «déjà très populaire parmi la foule d’Aulnoye-Aymeries». Les catcheurs giflent l’arbitre, s’étalent à coups de planchette japonaise, spectaculaires et chiqués. Au pied du ring, des policiers en service, baraqués, mains sur la ceinture, écroulés de rire. Juste avant le rock yéyé psychédélique des Sheetah et les Weissmüller et leurs fraîches Weissmülettes en peau de panthère, on découvre le trop court «one man band» Mr. Marcaille. Torse nu et échevelée, un pied sur chaque pédale de deux grosses caisses, la brute poilue rugit dans le micro, les doigts déchaînés sur un violoncelle électrique. «Bah oui, ça fait mal aux oreilles», convient-il. Le résultat est plus subtil qu’il n’y paraît. «Saque eun’dins, Marcaille !» lance un sprectateur en ch’ti, qu’on pourrait traduire par «Vas-y à fond !» Dans la pièce à côté, une expo de tapettes à mouches du Kenya, de Malte, du Sri-Lanka, de Belgique, bref, du monde. Il y a aussi des créations : une tapette «de bourrin technique», une «tapette de princesse», une «tapette épuisée», et une tapette «de ma mère».

«Tabernacle». Nuit noire dehors, dernier parcours secret, le bus est bondé. A l’intérieur, un orchestre, le chanteur bourdonne un jazz doux. Voilà les comédiens et musiciens du Théâtre de chambre. Les spectateurs descendent par paquets, pas tous au même arrêt. Un lotissement silencieux, on suit Marc Amyot et Gwendoline Despres, derrière une torche. Marc, un accent du Québec : «Je vous invite dans ma 403.» Dans le vieux pick-up sous bâche, des bancs. Il offre du vin et de la limonade. «Pendant longtemps, j’avais que ça comme voiture. Une vieille voiture, ça permet de prendre le temps. Ça te protège.» Il veut passer un film, le projecteur a du mal à démarrer : «Tabernacle !» En noir et blanc, un homme pédale sur une machine volante dans la nuit étoilée, aux prises avec un ange-flic. Dans la cuisine de la maison d’à côté, Gwendoline et Philippe Pech-Gourg racontent des bouts de vie en cuisinant un crumble et un curry. Quand c’est fini, on mange.

Haydée Sabéran

(1) Et Philippe de Marsignac, comme nous l'avions écrit par erreur. Il avait été annoncé comme commentateur, mais a finalement joué l'arbitre.