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Hautmont, un an après la tornade : «Les images tournent dans ma tête»


RETOUR SUR - Un an après, le quartier de l'Exotique, à Hautmont, se remet tant bien que mal de la tornade qui l'a ravagé. Les maisons dévastées, ruines béantes, tas de briques, ont été abattues, les sinistrés logent encore dans les mobil-homes, installés par l'Etat, en attendant la reconstruction de leurs foyers. Le plus souvent, ils ont tout perdu. Il y a comme un ressort qui manque à leurs vies.

C'était un dimanche soir, après une journée écrasante de chaleur. Le 3 août 2008, vers 22h30. Des vents de plus de 200 km/h. La tornade a parcouru 18 kilomètres, elle a également touché Maubeuge, Le Neuf Mesnil et Boussières-sur-Sambre. Trois morts, 18 blessés, 3700 logements touchés, selon la Fédération française des sociétés d'assurances. 

Fernand Roland, 82 ans. "Je me suis retrouvé tout nu sur un tas de briques, c'est la pluie, très forte qui m'a réveillé. On n'a jamais retrouvé mon pyjama. La tornade m'avait projeté hors de chez moi, de l'autre côté de la rue. J'avais plein de fractures, mon médecin m'a dit que j'avais frôlé la mort. Ce soir-là, j'étais dans l'escalier, je montais me coucher. J'ai vu au milieu de ma chambre un cylindre gris, sale [il fait la grimace]. J'ai essayé de redescendre, mais je n'ai pas eu le temps. Ensuite, j'ai perdu connaissance. Maintenant, je ne veux plus parler de tout ça. Sinon, les images tournent dans ma tête, surtout le soir." Sa femme, à ses côtés, enchérit. "J'étais encore au rez-de-chaussée de la maison au moment de la tornade. J'ai cru qu'il était mort, il ne répondait pas, et on n'avait plus de toit. C'est un voisin qui est venu me dire qu'on l'avait retrouvé vivant." Ils font reconstruire leur maison, "surtout pour notre petit-fils", sourient-ils.

Henriette*, 80 ans. Elle a gardé sa maison d'origine, même si le toit s'est envolé et que le dernier étage est dévasté. Elle loge dans un mobil-home, en attendant la fin des travaux. "Ils n'avancent pas. Les entrepreneurs ont pris trop de chantiers à la fois, alors ils ne viennent pas tous les jours. Même si ma maison me manque, il faut bien faire avec." Elle hausse les épaules. "De toute façon, quand on commence mal sa vie, on la finit mal aussi." Elle égrène : "Quinze jours après mon mariage, mon mari est reparti en Algérie, il a été rappelé. Il a attrapé là-bas la dysenterie amibienne, dont il est mort à 37 ans. Vous croyez que c'est une belle vie ? Les moments de bonheur, il n'y en a pas eu beaucoup." On lui demande si elle a vu un psychologue. "Oh, cela fait deux ou trois fois que je l'envoie promener. Là, j'ai accepté, mais je l'ai prévenu, une journée n'y suffira pas à raconter ma vie." Elle rit, doucement. Une amie est là, elle la présente : "C'est mon ancienne voisine". La dame la reprend, gentiment : "Ne dis pas cela, je suis toujours ta voisine, tu vas venir habiter à nouveau dans ta maison."

 Mouhade Laïdi, 25 ans. "C'est la maison familiale qui s'est écroulée. Cela a été dur surtout pour ma mère. Mes parents ont tout perdu. J'étais parti le vendredi soir, pour diriger une colonie de vacances dans la Drôme. Le dimanche soir, ils m'appelaient, je suis reparti tout de suite. Quand on arrive face à cela, la première chose que l'on fait, c'est pleurer. On a beau être le gars le plus fort du monde, on pleure. Le premier soulagement, cela a été la démolition. On n'avait plus envie d'avoir l'image de la maison à moitié cassée. Vous marchez dans les débris, vous ramassez des photos toutes mouillées, des rideaux du voisin, que vous retrouvez chez vous. Le deuxième soulagement, cela a été la première brique de la reconstruction. On se dit, c'est bon, c'est parti. L'assurance a joué le jeu et n'a pas chipoté."

Martine Franciamore, la cinquantaine. "Après la tornade, je pensais pouvoir récupérer quelque chose de ma maison, la reconstruire sur la dalle. Mais la dalle avait bougé, il y avait une fissure à la cave. Personne n'aurait pu reconstruire là-dessus. La démolition, cela a été terrible. C'était en février, il faisait -21°. On avait entièrement refait la chambre de ma fille un an auparavant, elle avait voulu tout chinois. Je voyais la pelleteuse qui prenait un bout de sa tapisserie, un bout de nos meubles, vous voyez vos vêtements qui restent accrochés à la pelle. C'est dur. Vous voyez vos années partir. Des choses qui pour les autres sont dérisoires, mais qui pour vous sont des souvenirs. Je suis allée voir la démolition parce que je voulais aller jusqu'au bout. C'est un deuil. C'est comme quelqu'un que vous aimez, vous allez jusqu'au bout, jusqu'au cimetière. Notre maison, quand nous l'avons achetée, elle n'avait que deux pièces. Nous y avons consacré tellement de temps, avec beaucoup de sacrifices, les vacances, par exemple. A la fin, on avait 180m2 habitables. Nous avons racheté un terrain, parce que le nôtre était  beaucoup trop étroit, il n'était plus aux normes. Nous faisons reconstruire, les travaux devraient commencer fin août début septembre. Vous vous rendez compte, on avait notre maison, tout était payé, on était tranquille. Et il faut tout recommencer. J'ai l'impression qu'on ne s'en sortira pas. C'est mon mari qui se bat."

"Personne ne pourra oublier ce qui s'est passé. Ceux qui ont vécu cela ont la souffrance en plus. Dès que le vent se lève, ils ont peur. Moi,non. Je n'étais pas là au moment de la tornade, j'étais en vacances à Bordeaux. Heureusement, sinon nous ne serions plus là, vu l'état de la maison. La nuit de la tornade, nous avons été prévenus, et mon mari a appelé un ami, pour qu'il aille bâcher le toit. Quand il est revenu, il a dit à sa femme, 'ce n'est pas la peine de bâcher, il n'y a plus rien.' 'Comment ça', lui dit-elle, 'il n'y a plus rien ! Tu as ouvert la porte tout de même, pour regarder ?' 'Mais il n'y a plus de porte', lui a-t-il répondu. 'Tu es tout de même entré dans la maison ?' 'Mais il n'y a plus de maison.' A l'époque, ils n'avaient pas osé nous raconter l'anecdote. On n'aurait pas pu. Maintenant, vous voyez, on recommence à rire."

Raymonde*, 82 ans. "Je venais de me coucher. Il y avait de l'orage, et quand il y a de l'orage, j'éteins ma télé. J'avais fermé ma maison, accroché ma clé dans le couloir, à sa place habituelle. Ma fenêtre s'est ouverte toute seule, à cause du vent. J'ai voulu la fermer et tout a volé en éclats, les vitres, les volets. Je ne sais pas comment, dans cette fournée, j'ai pris mes lunettes, mes médicaments, mon argent. Je voulais sortir. Il y avait des débris comme ça par terre [Elle écarte les mains de 30 centimètres]. Mais impossible de retrouver les clés de la porte d'entrée. J'ai dû rester une heure et demi sur mon balcon, et on ne savait pas me sortir de là.
Maintenant, c'est une autre vie. Je suis relogée depuis trois semaines. Ma maison a été détruite, je n'ai pas voulu reconstruire. Du coup, l'assurance m'a enlevé 30 à 40% de ma prime, parce que je n'ai pas fait rebâtir. Mais à mon âge, que voulez-vous, d'autant plus que je n'ai pas d'enfants. Ma vie ne sera plus très longue. Maintenant, je suis locataire. Je n'ai réussi à sauver que la photo de mon mari, elle était sur la TSF, tout est parti, sauf ça. J'étais bien dans ma petite maison, avec de beaux meubles, mon jardin. J'avais la main verte.Ici, cela peut bien rester en blanc, je n'ai pas envie de mettre en peinture ou de tapisser. Je ne me considère pas comme chez moi
."

Recueilli par Stéphanie Maurice

Photo: Aimée Thirion, 

*Les prénoms ont été modifiés.

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