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«Un élève qui ne comprend pas ce qu'il fait là»


EDUCATION - On les appelle les «décrocheurs», ceux qui quittent le système scolaire sans qualification. Ils seraient 10.000 dans l'académie de Lille. La Région a signé une convention avec Martin Hirsch pour tenter de faire baisser leur nombre. Qui sont les décrocheurs? Comment sortir de l'échec? Avec Maryse Esterle-Hedibel (1), sociologue et enseignante-chercheure à l'Université d'Artois IUFM,

Qu'est-ce que le décrochage?

C'est un processus progressif. L'élève sort petit à petit du système, quelquefois sans être repéré dans la masse des élèves. Ca peut durer des années : il est de moins en moins considéré comme élève, par les enseignants, ses camarades, lui-même. Il ne comprend pas ce qu'il fait là.

Est-ce que ça s'aggrave?

Non. Ils étaient 30% d'élèves en France dans les années 70 à sortir du système sans aucune qualification, 18% au début des années 80, et environ 6% aujourd'hui.

Ce qui change, c'est qu'on ne peut plus trouver du travail sans être qualifié.

Oui. Un enseignant m'a dit un jour : «Il y a 30 ans, mes élèves étaient enfants de mineurs, maintenant, ils sont enfants de Rmistes». Par ailleurs, l'idée qu'un élève sans école est un enfant potentiellement dangereux est assez répandue. Or le décrochage ne conduit pas systématiquement à la délinquance, loin de là. Ce qui est fréquent, c'est la dépression à bas bruit. Le jeune s'isole, reste chez lui devant la télé. Dans le Nord, aussi, il existe un risque important de grossesses d'adolescentes. ll m'est arrivé plusieurs fois de croiser des mères de 30 ans, avec une fille de 15 ans, pour laquelle avoir un enfant n'était pas extravagant dans ce contexte.

Comment ça arrive, le décrochage?

C'est un phénomène multifactoriel, et différent selon les enfants. Certains ont des problèmes d'apprentissage, non résolus d'une classe à l'autre, et lorsqu'ils arrivent en sixième, en cinquième, c'est l'effondrement. Au départ, la prise en charge de ces enfants pose problème. S'ils n'ont pas reçu une formation spécifique, les enseignants ne savent pas traiter tous les problèmes. Là, les Rased ont un rôle à jouer, en tant que spécialistes des difficultés scolaires. Ils ont une autre approche face à des enfants qui ne comprennent pas, par exemple, à quoi ça sert d'apprendre à lire, quel est le sens de l'école.

Ce sont parfois des élèves perturbateurs.

Il peut y avoir des problèmes de souffrance à l'école, parfois des problèmes avec l'autorité, avec les règles. L'enfant qui va essayer de se faire reconnaître autrement que par les performances scolaires va s'opposer, et c'est difficile à gérer dans une classe. Les enseignants ont peu d'outils face à ça. Ils considèrent souvent que l'élève doit savoir se tenir en classe, doit bien se comporter et qu'ainsi les conditions seront réunies pour qu'il apprenne. Or souvent, comme me le disait une enseignante, pour certains élèves "ce qui se passe en classe, c'est du javanais". On leur parle une langue incompréhensible, et on leur demande de se tenir tranquille six à sept heures par jour. Il y a là un malentendu : on trouve dès la sixième des élèves couverts de sanctions sans effet, sans que leur niveau scolaire soit pris en compte. Face à ça, les Rased sont indispensables. Ils ne peuvent pas être remplacés par l'aide personnalisée, deux heures par semaine, effectuée par des enseignants généralistes. Les Rased sont un bon outil de prévention, et si le problème est pris à temps, l'aide qu'ils apporte peut être de courte durée.

Les Rased sont menacés, et l'Education nationale supprime des postes.

C'est contradictoire. On agit d'un côté, et de l'autre, on détricote. Les moyens ne sont pas tout, mais ça compte. Si les Rased ont moins d'effectifs, on aura beau faire toutes les réunions du monde, on tournera en rond. Quand les postes d'enseignants et de personnels parascolaires disparaissent, ça veut dire moins de temps, moins d'écoute, et du coup la tentation d'exclure, ou de laisser partir ceux qui dérangent se renforce. 

En plus des problèmes scolaires et disciplinaires, il y a aussi les problèmes familiaux?

Il y a des ados qui décrochent parce qu'ils sont mobilisés ailleurs. Certains jouent un rôle de soutien dans leur famille. Ils s'absentent de l'école pour tenir compagnie à leur mère, voire la protéger, ou pour jouer un rôle de co-éducation des petits frères et soeurs. Or, les services sociaux ont à gérer de multiples situations, et s'occupent en priorité des plus urgentes : enfants battus, ou victimes d''inceste, par exemple. Par ailleurs il n'y a pas forcément d'assistante sociale dans tous les collèges, et si elle est là, l'élève ne demandera pas forcément de l'aide et ne saura pas forcément qu'il peut en trouver au collège. Je me souviens d'un jeune qui avait repéré que c'était au collège qu'il pourrait trouver une issue. Il faut dire aussi qu'il y avait dans l'établissement un enseignant connu des élèves comme "celui à qui on peut parler". Il l'a tout de suite orienté vers l'assistante sociale du collège.

Qu'est-ce qui marche?

Il n'y a pas de solution miracle. Il faut du monde, il faut des heures, il faut des gens formés. Des gens qui sont à l'écoute des gamins, qui n'ont pas un regard stigmatisant, et qui ne se jettent pas sur les sanctions! Pour ces élèves, la relation avec leurs enseignants et les adultes de l'établissement est déterminante. Et le travail en réseau, la logique empathique et le tutorat, ça marche mieux que les conseils de discipline à répétition. Sinon, le meilleur système restera lettre morte.

Recueilli par Haydée Sabéran

(1) Les élèves transparents, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2007

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LE CONTEXTE  - Le Nord-Pas-de-Calais et Centre vont expérimenter des projets pour s'attaquer au décrochage scolaire et à favoriser l'insertion professionnelle des jeunes, avec le Haut commissariat à la Jeunesse. Ces thèmes figurent parmi les thèmes dominants du Livre vert sur la jeunesse, rendu public par le Haut commissaire Martin Hirsch.

Quelque 120.000 jeunes, selon le gouvernement, sortent chaque année du système scolaire sans diplôme. Dans le Nord-Pas-de-Calais, 10.000 interrompent leurs études en cours de scolarité. Concernant cette région, une convention d'objectifs pour la continuité du parcours des jeunes a été signée le 8 juillet par l'Etat et la région. Le montant du financement n'a pas été précisé.On sait que des territoires, le Versant Nord-est de la métropole lilloise, le bassin de la Sambre, l'ancien bassin minier, le littoral, devraient être prioritaires.

La convention vise notamment à expérimenter des projets pour mieux orienter et repérer des élèves qui risquent de décrocher. Il s'agit par exemple de développer des écoles de la deuxième chance, pour permettre de "réduire le nombre de jeunes sans solution de formation ou d'emploi".

Pour la région Centre, le Fonds d'expérimentation pour la jeunesse doit débloquer 961.000 euros sur 3 ans pour des projets expérimentaux concernant le développement des dispositifs d'alternance, le renforcement et la coordination des dispositifs d'orientation et le repérage précoce des élèves en décrochage.

(Avec AFP)