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Dix jours de théâtre, «objet de luxe, et populaire»


FESTIVAL - On est sur scène toute la journée. Le midi, on mange cantine du monde, et ce soir, on joue devant un vrai public. C'est jusqu'à dimanche. Le Manifeste, festival de théâtre, réunit amateurs, pros, enfants, vieux, à Grande-Synthe, près de Dunkerque entre les zones commerciales et 

Souffleuse. Marie-Odile se lève, furax : «Bon, je vais aller travailler mon texte dans le couloir». Le metteur en scène Gérard Gelas, pilier d'Avignon, vient de la rabrouer, elle n'avait pas respecté le silence demandé. Marie-Odile ne parlait pas, elle jouait son rôle de souffleuse. Elle revient, il dit qu'il regrette, elle répond qu'on est pas là pour se faire engueuler. Ça tombe bien, c'est l'atelier «Femmes du monde» et on y joue des violences aux femmes.

Ça s'appelle Le Manifeste, ça dure dix jours à Grande-Synthe, c'est presque gratuit, un euro par jour. Dans les ateliers, prof, aide-soignante, comédien, patron de bistrot au RMI, cadre, ouvrier agricole, avec des pointures du théâtre, en tout, ils sont une centaine. On parle de violences aux femmes, d'étrangers, de droits, et on le joue. «Un objet de luxe à vocation artistique et populaire», dit Brigitte Mounier, comédienne et metteure en scène de la Compagnie des mers du Nord, qui a inventé Le Manifeste après une commande de la ville.

Potaches. Retour à l'atelier de Gelas, qui fait dans le précis : «Tu passes un peu la frontière, tu deviens trop expressive» ; «Toi, tu as travaillé au sourire, franchement, c'est bien». ; «Là tu t'es retenu. Il se tient pas le mec. Il a envie de la baiser. Il a tout pouvoir» ; «Hop, un regard, et hop, on planque le papier. Non! Tu l'as pas regardée» ; «Le début, c'est d'un mou» ; «Ne mettez pas d'ampoulé dans le ton». Et aux potaches, qui se marrent et qui commentent : «Arrêtez de commenter. On n'est pas à l'enterrement de Michael Jackson». Sur scène, un ado réclame à sa mère l'argent des allocs. «J'en ai marre d'êre volé». Jean-François, le comédien en fauteuil roulant semble faire un effort pour articuler. Une énergie folle, et il est juste. Celle qui joue sa mère dit : «Ne plus avoir besoin du RMI qui avachit nos fils et nos maris». Gelas : «On le fait une dernière fois, c'était presque bien».

Brigitte Mounier raconte. Le Manifeste, ça fait six ans que ça dure.  Les premières années, elle allait voir les centres sociaux les associations de la ville, les compagnons d'Emmaüs, pour faire venir des gens de tous horizons qui auraient envie de faire du théâtre, pas seulement des profs et des cadres. «Je ne le fais plus, parce que chaque année c'est plein, et que ça s'auto-mélange. On s'arrange pour répartir les gens. On met pas trois profs de français dans un même groupe».».

Bulles. Léa, prof de théâtre à Dunkerque, est là pour la troisième année, comme stagiaire. Dans son groupe, il y a une ouvrière agricole, un prof, des lycéens, des enfants, «des gens qui vont au théâtre, d'autres non, on vit un moment ensemble». Elle joue dans les Padox migrateurs personnages au visage de latex, genre d'E.T. obèses qui improvisent en troupeau dans la ville. Poussent la porte des bistrots, s'installent sur la plage. Ils sont doux, pacifistes et étranges, découvrent les gens, les objets comme s'ils débarquaient de Mars. Mercredi au coucher du soleil sur la digue de mer à Dunkerque, les Padox touchent les passants et se laissent photographier, ils font des bulles avec leur paille, en terrasse. «Vous êtes des bons grands parents», leur lance une jeune bimbo après un câlin. Elle se tourne vers sa copine : «c'est les grands parents des Télétubbies».

Dans l'atelier d'à côté, Pape Samba Sow, alias Zoumba, metteur en sène et comédien de Saint-Louis du Sénégal fait chanter les Dunkerquois en wolof, et met en scène les problèmes des artistes de sa ville, privés de lieu de travail, dans «L'Etat hors la loi». «Le président sénégalais ne met même plus les formes pour faire semblant qu'il est démocrate. Il fait des bêtises, puis il passe à une autre bêtise». Où il est question d'hommes politiques qui vendent la mer aux multinationales pour faire des pêcheurs des ouvriers-pêcheurs. Politique? «On le savait que ce serait politique, dit une stagiaire C'est pas un stage de théâtre, c'est une expérience humaine».

Tajine. Au club house du Club de rugby local, c'est l'heure du tajine. En attendant le repas, un autre Jean-François, cadre médico-social, feuillette les dernières photos des Padox migrateurs. Il avise l'image d'un Padox tout seul devant une palissade, qui tente d'effacer une croix gammée avec son mouchoir à carreaux. Jean-François : «celle là, je l'aime bien. On va l'envoyer à Marine».

Haydée Sabéran

Photo Le Manifeste

Au Palais du Littoral, à Grande-Synthe, tout le programme .