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Dans la jungle de Calais, la peur d'être expulsé


IMMIGRATION - «Aujourd'hui est un jour dangereux», sourit Ahmadshah, habits tachés, pantalon fatigué. Le jour se lève ce 21 juillet dans la «jangal», la plus grande «jungle» de Calais, bois peuplé d'Afghans Pachtounes. A l'entrée de la forêt, c'est l'habituel va et vient pour remplir bouteilles et jerricans à la pompe à eau, mais les esprits sont ailleurs. On observe la route, d'où pourraient surgir les fourgons de CRS. On craint de voir la jungle vidée, et détruite. On craint surtout, d'être arrêté et expulsé. Une rumeur a daté le nettoyage au 21 juillet, et puis rien, .

Mineurs. Eric Besson dit vouloir se débarrasser de ces bidonvilles «avant la fin de l'année». Seulement voilà : on peut vider la jungle comme on a fermé Sangatte, c'est à dire sans rien régler.

D'abord parce que le nombre de migrants à la rue est sans précédent. Ils sont quelque 1100 à 1200 migrants dans les rues de Calais, et environ 2000 sur le littoral nordiste. Le passage est de plus en plus difficile. Les gens mettent entre trois et cinq mois, contre un mois environ il y a encore un an. D'autres arrivent tous les jours, d'Afghanistan, d'Iran, d'Irak, de Somalie, du Soudan, d'Erythrée, surtout. Où iront-ils? L'Etat, par différentes voix, a déjà formulé un début de réponse : l'asile pour certains, ensuite une prise en charge les mineurs, mais aussi des retours volontaires au pays, et enfin, les «retours forcés». Pas si simple.

L'asile? Le Haut commissariat aux réfugiés et France Terre d'Asile informent les migrants depuis le 1er juillet. «Ils ont tout intérêt à le demander. Pour leurs nationalités, les taux d'accord de l'Ofpra ne sont pas mauvais», souligne Marie-Ange Lescure, représentante du HCR à Calais (1). A cause des difficultés pour passer en Grande-Bretagne, des nouvelles d'expulsions d'Afghans vers Kaboul, et de la hausse du nombre de migrants, les demandes augmentent. «Un par jour en ce moment rien que chez nous» raconte Jacky Verhaerghen, du Secours Catholique. Depuis le 5 mai date de l'ouverture de la permanence à la sous-préfecture de Calais, 170 personnes ont été enregistrées. 31 ont reçu une autorisation provisoire de séjour, 29 sont en Centre d'accueil pour demandeur d'asile (Cada). Problème : ils ont 21 jours pour faire leur récit, or, dans le Calaisis, c'est justement trois semaines d'attente pour être logé en Cada. Du coup, ils doivent rédiger leur récit de vie «sur les genoux, dans la jungle», raconte Marie-Ange Lescure, «ce n'est pas serein». Sans compter que les passeurs font pression sur eux. «Un migrant qui demande l'asile, c'est un client perdu».

Peau. Deuxième problème : les empreintes digitales. 51 migrants été identifiés par leurs empreintes lors de leur passage sur les bornes de la base européenne de données Eurodac, à l'entrée en Europe, en Grèce et en Italie. La France peut donc les obliger à demander l'asile dans ces pays là. Certains se brûlent ou se coupent la peau des doigts en espérant ne pas être identifiés. Sur les 170, 57 ont effacé leurs empreintes. Marie-Ange Lescure réclame à la France une souplesse sur ce point : «Dublin serait formidable si tout le monde avait les mêmes chances de protection partout, ce n'est pas le cas». Les chances sont moindres en Grèce qu'en France.

Pour les mineurs non plus, rien n'est simple. Ils sont de plus en plus nombreux, parfois seuls à 9 ans. Quand ils sont pris en charge, ils finissent par fuir les centres d'hébergement, où ils sont perdus. Ils reviennent dans la jungle. Environ 2400 sont passés par l'Aide sociale à l'enfance l'an dernier dans la région, la plupart sont retournés à la rue. Les retours volontaires prônés par l'Etat? Financés entre 2000 et 4000 euros, selon les projets, ils sont de plus en plus nombreux. Dans la jungle, la plupart haussent les épaules, quand on leur parle du projet de retour. «J'ai payé 14000 dollars pour venir jusqu'ici et tu veux me donner 2000?» Et selon Nazenine Lajili, de l'Organisation internationale pour les migrations à Calais, ceux qui sont en danger dans leur pays ne rentrent pas.

«Zones sûres». Pour les retours forcés, c'est le même risque. Le sous-préfet de Calais, annonce des retours forcés, bientôt, vers les «zones sûres» d'Afghanisan. Il indique que la France expulse déjà vers les provinces Kurdes d'Irak réputées sûres. Pour Wahid Nowabi, de l'association Ensemble pour l'Afghanistan basée à Grenoble, l'expulsion est à haut risque. «Les gens souscrivent un emprunt auprès des passeurs. S'ils rentrent, passeurs leur donnent deux mois maxi pour rembourser, sous peine de mort». Cet automne, un charter franco-britannique d'Afghans a fini par ne jamais décoller, sous la pression du HCR et des associations.

Thé et galettes. Dans la jungle, Ahmadshah et ses amis Kamran et Bilal offrent le petit déjeuner. Il y a des galettes pain plat toutes chaudes, cuites au feu, et du thé très sucré. Ahmadshah a une bosse sur la main, il dit qu'elle a été traversée par une balle, et qu'il a peur de l'expulsion. «Si je rentre là-bas, les Taliban ne me laissent pas le choix, soit je me tue, soit je dois tuer des soldats français et américains.»

Haydée Sabéran

Photo Pascal Rossignol/Reuters : Dans la «jungle», près du port de Calais, en avril 2009

(1) Après parution de l'article, Marie-Ange Lescure nous a indiqué par mail : «L'asile n'est pas la solution pour tous à Calais et sur le littoral Nord, l'idée n'est pas de faire du "chiffre" mais de trouver au cas par cas la meilleure solution pour chaque personne».