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A Lille, Hossein Bastani, journaliste iranien malgré l'exil


MONDE - Depuis Lille, Hossein Bastani, 38 ans, dirige un journal d'opposition iranien en ligne, Rooz, dont l'accès est bloqué en Iran. Sur place, sous des noms d'emprunt, une poignée de journalistes envoient leurs reportages et leurs enquêtes, et racontent le pays de l'intérieur.

Quelle est la ligne éditoriale de votre journal?

Réformatrice. Nous luttons contre le gouvernement actuel. Dans le comité de rédaction de Roozonline, il y a des non-croyants, un marxiste, et moi, croyant, et favorable à une séparation totale de la religion et de l'Etat.

Comment travaillez vous?

Le site est actualisé tous les jours, sauf le week-end -jeudi et vendredi en Iran-, avec 20 à 25 articles par jour. La rédaction en chef est assurée par un groupe de trois personnes, une consoeur à Paris, un confrère à Londres, moi à Lille. On travaille par mail et par Skype avec les confrères iraniens, c'est plus sûr que le téléphone qui est sur écoute. Les sujets sont distribués avant 17h, et les articles remis à 21h30. Nous sommes très stricts sur les horaires avec les journalistes en exil qui travaillent depuis Londres, Istanbul, Paris, Bruxelles, Berkeley ou Toronto, mais très souples avec les ceux qui écrivent depuis l'Iran, en raison des contraintes de sécurité. C'est difficile, mais ce n'est pas impossible. Ils envoient leurs articles depuis des cybercafés, sous des noms d'emprunt. Entre 21h30 et 22h30, on lit les articles, on vérifie. Puis on décide des titres et de la hiérarchie.

«Notre journaliste enregistrait tout sur son portable»

Prenons l'exemple de la prière du vendredi, le 17 juillet à Téhéran, comment avez vous travaillé?

On a plusieurs sources, et d'abord les sources officielles. Rien de comparable avec l'Union Soviétique ou encore l'Irak de Saddam Hussein : par le canal des médias conservateurs, de véritables informations filtrent. La prière du vendredi est toujours diffusée en direct à la radio, à midi. Nous avions un journaliste qui écoutait la radio, un autre qui était sur place pour vivre les choses de l'intérieur. Rien qu'à la radio, on pouvait comprendre que les choses se passaient de manière inhabituelle. Le haut parleur lançait des slogans contre les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, et Israël, et on entendait au loin la foule répondre des slogans contre la Russie (pays qui a reconnu l'élection de Ahmadinejad, ndlr). Sur place, au lieu des 20.000 personnes habituelles, il y avait au moins un million de personnes, majoritairement favorables aux réformateurs. Notre jeune journaliste nous a envoyé un article sur le discours de Rafsanjani, les réactions des gens présents, conservateurs et réformateurs. Il ne prenait pas de notes, mais enregistrait tout ce qui se passait sur son portable. Un autre nous a envoyé le soir même un compte rendu des manifestations qui ont suivi la prière.

Vos sujets?

Dimanche soir, par exemple, nous avons fait une interview de la mère de Neda Agha Soltan, la célèbre jeune fille dont la mort a été filmée sur Youtube, avec une photo exclusive d'elle. La mère de Neda parle de sa fille, de sa personnalité, de son parcours. On ne lui a pas posé de questions sur la politique pour ne pas la mettre en danger. On a également l'interview de la fille de Saïd Hajjarian un réformateur très connu, qui subit des violences en prison, et dont la santé est très précaire (il pourrait être bientôt libéré, ndlr), ainsi que l'interview de Me Shirin Ebadi, prix Nobel de la Paix, qui demande à Ban Ki Moon, secrétaire général de l'ONU, de se rendre en Iran pour rencontrer les familles de victimes. Nous avons aussi fait deux interviews avec Mahboubeh Abbasgholizadeh, défenseure des droits des femmes, et Mehdi Arabshahi, un des leaders du mouvement étudiant, tous les deux à Téhéran, au sujet des pressions du gouvernement sur les militants féministes et les étudiants après la présidentielle du 12 juin.

Quelles contraintes pour les journalistes sur place?

Ils courent tous le risque de se faire arrêter. On évite qu'ils sortent de l'ombre, qu'ils soient reconnus, donc on leur demande de faire du reportage, plutôt que des interviews. Nous, d'ici, on fait beaucoup de travail d'enquête. Exemple, pour prouver que l'élection a été truquée, pas besoin d'être forcément sur place.

«Nous avons des nouvelles très inquiétantes des prisons»


Certains ont été arrêtés.

Ahmad Zeidabadi et Issa Saharkhiz sont en prison. Par ailleurs, Shadi Sadr, une militante qui intervenait dans nos colonnes, a été arrêtée avec une grande violence le vendredi 17 juillet pendant le prêche de Rafsandjani. Certains de nos journalistes essaient de quitter le pays. Tout de suite après les premières arrestations, on a été très pessimistes sur notre réseau. L'Iran, en compétition permanente avec la Chine et Cuba sur ce point, est en ce moment la plus grande prison de ,journalistes au monde. Maintenant, on sait qu'on peut compter sur six à sept journalistes, et sur des personnalités réformatrices.

Quel danger courent les détenus?

Plus vous êtes connu, plus vous êtes protégé. Les lycéens, les étudiants, inconnus, sont en grand danger, et risquent jusqu'à la mort sous la torture. Certains lycéens et étudiants sont détenus dans des prisons non-officielles, où les conditions sont très inhumaines. Dans d'autres prisons, des jeunes sont placés dans les cellules de détenus de droit commun et livrés à leur violence. Nous avons des nouvelles très inquiétantes, mais non-confirmées, de la prison de Shiraz de violences de gardiens sur les jeunes détenus.

Vous avez été vous même détenu en 2003. Dans quelles conditions?

En cellule isolée, sous lumière artificielle, dans le silence total, sans contact avec l'extérieur. Je n'avais ni de quoi lire, ni de quoi écrire. Après une semaine de ce régime, vous sentez votre mémoire vous échapper. J'attendais avec impatience les interrogatoires, pour avoir un contact humain. On voulait me faire avouer une participation dans les manifestations étudiantes de 2003. Ça n'a duré que 10 jours, car à la même période, la journaliste canado-iranienne Zahra Kazemi avait été battue à mort pour avoir photographié la prison d'Evin, et presque tous les journalistes détenus ont été libérés. J'ai quitté le pays un an plus tard.

Vous vous qualifiez de réformateur, donc partisan de réformes à l'intérieur de la République islamique?

On ne croit pas particulièrement à une République islamique, mais on n'a pas trouvé d'autre moyen pour parvenir à la démocratie que de le faire de l'intérieur. Sinon il y a trois solutions, aucune pertinente : une attaque militaire, un coup d'Etat, ou une révolution. Une attaque militaire, outre qu'elle n'est pas morale, déstabiliserait toute la région. Espérer de l'armée des Gardiens de la Révolution qu'elle apporte la démocratie par un coup d'Etat est une idée comique. Quant à la révolution, les groupes d'opposition ne la font pas. Mais ce qui compte pour nous, c'est informer. Les gens se font leur propre opinion. Enquêter pour prouver la fraude électorale c'est plus efficace que d'écrire un éditorial contre le gouvernement.

Etes vous en contact avec les conservateurs?

Ceux qui sont hostiles au président Ahmadinejad acceptent de nous parler.

«On se méfie des informations qui viennent des blogs»

Que pensez vous de la manière dont on rend compte, ici, de ce qui se passe en Iran?

Avant les élections, les infos provenaient de sources plus ou moins contrôlées par le régime. Difficile quand on est tributaire d'un visa pour entrer dans le pays, de dire tout ce qu'on sait. Quand un chercheur français est invité par une université iranienne, il voit des choses qu'il pense être la vérité, mais il est surveillé, il ne peut pas entrer en contact avec n'importe qui. Même chose pour les reportages. Pourquoi les télévisions filmaient-elles la prière du vendredi? Parce que c'est simple d'avoir une autorisation. Mais les Iraniens qui vont à la prière du vendredi habituellement sont les plus conservateurs, ils ne sont pas représentatifs du pays. Après l'élection, ce qui a changé, c'est que les journalistes citoyens ont diversifié les sources, avec les infos sur Youtube, Twitter, Facebook et les blogs. On était plus proche du pays réel.

Comment vérifier la fiabilité de ces sources?

Nous, on recoupe avec nos informateurs sur place. On se méfie a priori des informations qui viennent des blogs ou de Facebook. Ça dépend de qui écrit. Certains, sous le coup de l'excitation, parlent de massacres, de tortures, sans avoir vérifié, sans prudence. Les vidéos de manifestations, on peut être sûr qu'elles ont été tournées après l'élection, parce qu'avant, un tel phénomène n'existait pas. Mais il peut y avoir des confusions. Exemple : une photo de la place d'Ispahan noire de monde, a circulé. On n'avait pas de nouvelles d'un tel rassemblement sur place. En revanche on savait qu'avant l'élection, un rassemblement pro-Moussavi avait eu lieu. C'est comme ça qu'on a daté la photo. Une manifestation n'est pas un grand mystère, on a plusieurs sources qui les confirment.

«Ma mère, activiste du droit des femmes»

Comment êtes vous devenu journaliste?

Avec l'élection du Président réformateur Khatami, en 1997. Des dizaines de quotidiens sont nés à cette époque en Iran. Avant, la plupart des journaux étaient officiels, les citoyens ordinaires ne pouvaient pas faire de journalisme. J'étais ingénieur en informatique, je suis devenu journaliste par militantisme, dans la lignée des combats de ma mère activiste des droits des femmes. J'ai travaillé pour 14 quotidiens successifs, qui fermaient les uns après les autres. L'appareil judiciaire, aux mains des conservateurs, fermait les journaux, emprisonnait les journalistes. Même si le président de l'époque était partisan de la liberté de la presse, c'était un travail risqué. J'ai été arrêté en juillet 2003, détenu pendant dix jours. J'ai quitté le pays ensuite. En France, j'ai appris le français, et monté Roozonline.com.

Pourquoi avoir choisi Lille?

J'avais le choix entre la Grande-Bretagne et la France. Je préférais la France, quitte à devoir apprendre le français, parce que dans l'esprit de nombreux iraniens encore, il y a une méfiance historique contre la Grande-Bretagne, (Certaines régions de l'Iran étaient sous influence britannique au 19ème siècle et pendant la première moitié du 20ème siècle, ndlr). La France a une image plus neutre. J'ai choisi Lille parce que je ne voulais pas vivre à Paris, où le logement est cher. Lille est la mieux placée pour aller régulièrement à Bruxelles, Londres, Paris, Amsterdam, Cologne, où se trouvent nos journalistes, nos financeurs, et parfois nos interlocuteurs. J'aimerais prendre plus de temps pour améliorer ma connaissance de la langue française. Mais ma vie est centrée sur l'Iran. Toutes mes conversations tournent autour de l'Iran, même avec mes voisins, à Villeneuve d'Ascq. (Sourire) Qui sont de très bons voisins.

«J'ai lu deux fois les mémoires de De Gaulle»

Vos liens avec la France avant 2004?

Depuis que je suis petit garçon, je lis les écrivains français. Quand j'avais 7 ans, la traduction en persan du Petit prince a été l'un des premiers livres que ma mère m'a obligé à lire attentivement. A l'adolescence, j'ai été profondément intéressé par l'histoire de France et surtout par l'histoire de la Résistance pendant la deuxieme guerre mondiale. J'ai lu deux fois les mémoires de De Gaulle. A mon arrivé à Lille, j'ai découvert avec enthousiasme qu'il était né ici. Après le mouvement étudiant de 1999 en Iran, je me suis intéressé à l'histoire de Mai 1968 et j'ai beaucoup lu sur le sujet.

Que pensez vous de la manière dont fonctionne la démocratie en France?

Aucune démocratie n'est parfaite. La vôtre a bien sûr certains défauts. A mon arrivée en France, j'ai ainsi été choqué de découvrir le faible nombre de femmes au parlement. Mais les défauts de votre démocratie sont bien moins importants que ne l'imaginent la plupart des Français. Parfois j'ai le sentiment qu'ils ne lui sont pas assez reconnaissants. Je l'explique par le fait que les Français d'aujourd'hui sont nés en démocratie et n'ont pas dû se battre pour l'obtenir.

Recueilli par Haydée Sabéran

FAITS ET CHIFFRES - «Rooz», en persan, veut dire «Le jour». Tous les journalistes de Roozonline.com, dont la moitié sont encore en Iran, sont rémunérés. Des non-journalistes, comme l'avocate Prix Nobel de la Paix Shirin Ebadi, y signent des tribunes. Le journal est financé par des organisations non gouvernementales, dont Hivos, ONG néerlandaise de défense, entre autres, des droits de l'homme, de l'égalité homme-femme, de la liberté d'expression dans le monde. Pour conserver les financements, le journal doit rendre des comptes tous les six mois. Le site est bloqué en Iran depuis décembre 2006. Avant cette date, il affichait environ 140.000 visiteurs uniques par jour. Il est passé à 40.000, à quoi s'ajoutent plus de 30.000 abonnés par mail en Iran. Selon Hossein Bastani, tous les jours, des centaines de sites web iraniens, ayant chacun des dizaines de milliers de visiteurs, reprennent les articles de Rooz. Leurs concurrents sont les radios et les télévisions. «Il existe d'autres sites internet à l'extérieur du pays, mais ils n'ont pas de journalistes en Iran», assure le journaliste.  Les articles sont édités en persan, une partie d'entre eux sont traduits dans la version anglophone.

H.S.

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