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«Une carapace avec un coeur d'artichaut»


FAITS DIVERS - La voix est sûre, parfois s’éraille un peu, puis repart à l’assaut. Florence Cassez parle depuis un téléphone fixé au mur dans la prison pour femmes de Tepepan, au Mexique. Elle a 34 ans, est incarcérée depuis trois ans et demi pour «complicité d’enlèvements et séquestration», ce qu’elle nie. Elle en a encore pour 60 ans de prison, le Mexique ayant refusé mardi de la transférer en France, où la peine serait limitée à 20 ans. Florence Cassez a été arrêtée sur une autoroute le 8 décembre 2005 en compagnie de son ex, Israel Vallarta. Il a avoué, la met hors de cause. Elle se dit innocente, et le dossier est truffé d’incohérences.

«Un vilain tour du destin» : c’est comme ça qu’elle résume son histoire. Dans sa cellule, cette jolie rousse est passée de mince à maigre. Elle appelle tous les jours sa famille, le matin. «Ça lui permet d’affronter la journée. Parfois elle pleure. Parfois c’est moi qui ne peux plus», dit sa mère. Dans le téléphone derrière Florence, des cris, l’ambiance de la prison. «Jamais une minute de silence.» Hier sa voix était remontée comme une pendule. Toute la nuit, elle a rédigé des demandes d’autorisation pour recevoir les journalistes mexicains : «Pour leur montrer que je suis innocente, qu’ils ont été manipulés.» Elle parle vite, les cartes téléphoniques sont chères, et les autres détenues attendent.

Travail à «200%». Qui est Florence Cassez ? Ses anciennes collègues de travail en France, sa famille, la décrivent comme une fonceuse et une marrante. Une «carapace», aussi, qui résiste à des journées de douze heures. Elle a dirigé les magasins Eurodif d’Amiens et de Calais. «Acharnée à son travail, dit Evelyne, une collègue, elle ne se plaignait jamais.» Florence : «Y’en a, c’est les chevaux, ou le tennis, moi, c’était le travail. Le 200 %.» Comme son père, patron d’une PME du textile. «Il rentrait tard, toujours des projets. On allait parfois l’aider, des papiers à faire, des tissus à couper. Lui, il ramenait du boulot à la maison. C’est ce que j’avais envie de vivre. J’arrive, je fonce, je fais. Je déteste les vacances.» Dans la cellule, elle fabrique des bijoux qu’elle vend aux détenues, ou remet par sacs entiers à ses parents quand ils viennent. Sa voix sourit : «Je suis devenue experte.»

Elle a arrêté le lycée en première. Elle se forme à la vente, fait des stages, travaille dans un magasin d’usine de son père à Béthune. Elle aide son copain de l’époque à monter un resto. «Je passais mes journées au magasin, et le soir j’allais servir au resto, la nuit je faisais des lessives de nappes, je repassais la nuit. Une vie de cinglée. Mais c’est moi.» En six mois, à 25 ans à peine, elle devient sous-directrice du magasin d’Amiens. Evelyne : «Un arrivage de jupes et hop, elle décidait qu’on déménageait la moitié du magasin.» Le départ au Mexique pour y rejoindre son frère chef d’entreprise est spontané.

Dans sa prison, elle fonce encore. Elle décroche son téléphone le jour où elle voit le ministre de l’Intérieur mexicain mentir sur son affaire. La chaîne la fait parler au ministre en direct, qui reconnaît que l’arrestation le 9 décembre 2005 était une mise en scène pour la télévision.

Cache-cache. Florence Cassez, c’est aussi une marrante. «On se racontait nos histoires de filles, dit Sonia, vendeuse à Eurodif. Chez elle, c’était des fringues partout. On allait danser au Nemo à Amiens.» Elle s’amuse à imiter les clients irascibles ou joue à cache-cache dans les rayons avec son père, quand le magasin est fermé. «Caché derrière un portique du magasin, il essayait de la toucher avec la lumière rouge d’un stylo laser. On aurait dit deux gamins», dit Evelyne. Florence : «J’aime me moquer, trouver le côté aimable des choses. Là ? Non, là, non, je n’arrive pas à avoir de l’humour sur ce qui m’arrive.»«C’est une carapace, avec un cœur d’artichaut», raconte aussi Evelyne. «Quand j’ai su qu’elle avait été avec ce garçon mexicain, ça ne m’a pas étonnée. A Amiens, elle m’avait parlé d’un beau garçon avec une moto. Trois semaines après, je lui demande comment ça va avec lui, elle me répond "ça fait huit jours que c’est fini". Elle craque pour un gus, il lui plaît pas, elle casse. Je pense que c’est la même chose pour ce Mexicain [Israel Vallarta, ndlr]. C’est une fille qui ne se méfie pas.»

Sur Israel Vallarta, Florence Cassez dit que c’était de l’histoire ancienne quand elle a été arrêtée. «On se voyait de temps en temps, on a rompu, puis ça a repris mais ça battait de l’aile. Le 15 juillet 2005, le bail de l’appartement que j’avais avec une copine s’arrêtait. Je n’arrivais pas à terminer ma relation avec Israel, il revenait à la charge. Alors j’ai décidé de revenir en France. Je cherche du travail, je ne trouve pas. Alors je retourne au Mexique. On tombe d’accord : il me loge mais on fait chambres séparées. Je me bats contre ceux qui disent "comment on peut vivre avec un homme sans savoir ce qu’il fait?"».«Le moral, c’est pas du tout ça», disait-elle hier après-midi. Elle mange peu, est soignée pour une affection chronique du colon. Elle a découvert qu’elle aimait lire. «Fred Vargas, quand j’ouvre un de ses livres, je le termine dans la journée.» Et puis des biographies, des histoires d’anorexie, de cancer, et de camps de concentration. «Je ne vois plus ma vie sans un livre.»

Haydée Sabéran

Photo Reuters : Florence Cassez après son arrestation en décembre 2005 à Mexico.