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«Il est mort parce qu'il n'a pas pu prendre une douche»


MIGRANTS - Un homme de 20 ans s'est noyé à Calais samedi soir. Il voulait se laver, explique Céline Dallery, infirmière à la permanence d'accès aux soins de santé. Il n'y a plus de douches pour les quelque 1000 (1) migrants sans-abri de Calais, qui tentent de passer en Angleterre. Du coup, la permanence est assaillie par ceux qui doivent soigner leur gale, et il n'y a plus de temps pour bien s'occuper des autres malades : tuberculeux, femmes enceintes, blessés. La jeune femme lance un appel au secours.

Que s'est-il passé samedi soir?

Un Erythréen est mort noyé. Il voulait se laver près de l'écluse. Il n'est pas tombé, il était en slip, beaucoup de migrants se lavent à cet endroit. Il venait de manger, d'après ce que m'ont dit les autres. Il a dû être emporté par le courant, l'endroit est dangereux, plein de vase. Il est resté un quart d'heure sous l'eau. Un pompier l'a repêché, il n'a pas pu le ranimer. Il est mort parce qu'il n'a pas pu prendre une douche. A Calais, son frère le pleure. Les Erythréens de Calais sont dévastés. Nous, les bénévoles, aussi. Ces gens qui meurent, il ne faut pas oublier que ce sont des frères, des fils, des maris, des pères.

Aujourd'hui, les migrants ne peuvent plus prendre de douches à Calais.

Ça fait six mois que ça dure. Il n'y a plus d'endroit pour se laver, à part à la permanence d'accès aux soins, qui dépend de l'hôpital. Ils se bousculent, certains entrent par la fenêtre. Le Secours Catholique a déposé un permis de construire, mais la mairie a dit non. Elle veut bien des douches du côté de Marck, ce qui implique des allers et retours en camionnette (à 14 km de là, ndlr). La mairie de Calais voudrait rendre les migrants invisibles. En attendant, on ne prend pas en compte un grave problème sanitaire. On n'écoute pas les soignants.

Que constatez-vous?

Une catastrophe. Depuis qu'il n'y a plus de douche, le nombre de visites à la permanence est passé de 15 par après-midi à 40, à cause de la gale. Ça peut se régler de façon simple, il suffit de prendre des antibiotiques, de se laver, et de se changer, mais il n'y a pas de douches. On donne des antibiotiques, payées par l'Assurance maladie mais ça ne sert à rien. Les gens arrivent avec des cas de gale infectée, sur-infectée, font la queue, s'énervent. 

Et les autres malades?

On n'a plus le temps pour les vrais malades. Je parle des diabétiques, des asthmatiques, des blessés par les barbelés, les fractures, les brûlures. Une vieille dame kurde de 72 ans, dans la jungle (2), on n'a pas le temps de s'occuper d'elle. Une Erythréenne, enceinte de six mois, elle aussi dans la jungle. Elle était à Calais depuis deux jours. La poche des eaux s'est fissurée, une bénévole a détecté que quelque chose n'allait pas. On n'a rien pu faire pour qu'elle garde le bébé, elle a accouché en urgence à l'hôpital d'un bébé de 800 grammes, on ne sait pas s'il va vivre. Il y a aussi des cas de tuberculose, un jeune Iranien qui a fait un infarctus dans la jungle, il n'avait plus d'anti-coagulants. Il a été hospitalisé, il est ressorti. Je dois prendre le temps de lui expliquer qu'il doit se débrouiller pour ne plus être à court, il peut mourir. Mais ici, c'est l'usine à gaz.

Quarante personnes se douchent chaque jour, comment font les autres?

Les Erythréens se lavent dans le port, avec cette mort absurde. Les Afghans, dans les rejets de l'usine chimique Tioxide, ils me disent que c'est une eau blanche et chaude. On ne sait pas ce qu'il y a dedans. Il y a un réel problème sanitaire. On ne peut pas laisser les gens se laver dans les flaques d'eau, se baigner dans des endroits dégueulasses. Tout le monde s'en fout, chacun voit midi à sa porte. Et nous, si on devait partir de France, comme s'est déjà arrivé dans l'histoire, si on se trouvait accueilli comme des rats sur le mode "Je suis né ici, j'ai plus de droits que toi qui arrives"? Ça n'a pas de sens. Ça coûte quoi de fabriquer des douches? On a peur d'attirer du monde? Venez les gars, y'a des douches à Calais, ça va être bien! Les gens ne quittent pas l'Afghanistan pour venir se doucher à Calais.

Et maintenant?

Je ne sais plus quoi faire. Faire une lettre ouverte, écrire une lettre au ministère? Demander à Eric Besson de venir nous voir? A Carla Bruni? Qu'ils passent ici. Qu'ils viennent.

Recueilli par Haydée Sabéran 

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