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Belle résille pour fières dentelles


PATRIMOINE - Calais vient d'ouvrir une cité-musée dédiée à l'étoffe qui a fait sa renommée. Un projet ambitieux qui contraste avec le déclin de ce secteur d'activité.

Le long du quai du Commerce, se reflète dans le canal une façade en résille moulante aux couleurs du temps calaisien, c’est-à-dire un gris lumineux instable. Cette peau de verre sérigraphiée, qui évoque les motifs des cartons Jacquard des métiers à tisser Leavers, symbolise déjà la toute nouvelle Cité internationale de la dentelle et de la mode de Calais, inaugurée le 11 juin. Greffée sur l’ancienne fabrique Boulart et montée en partie sur un porte-à-faux, ce parement de broderie à double courbure est la marque raffinée des architectes Moatti et Rivière.

Paradoxe. Car pour transformer cette friche industrielle en Cité-musée, les deux concepteurs ont mis en évidence la contradiction, douloureuse, du projet : «La dentelle mécanique disparaît quand naît le musée. Qu’allions-nous bien pouvoir raconter ?» se sont-ils demandé. La Cité accumule en effet les paradoxes. La voici bâtie sur la gloire passée, quand la ville exaltait ses 35 000 dentelliers en 1909, alors qu’à présent elle n’en compte plus que 2 000, en pleine crise économique face à la mondialisation.

Autre opposition, la séduction de la dentelle, fragile, raffinée, luxueuse, et la violence toujours très gueule noire de l’industrie mécanique, qui produit ces tulles brodés grâce aux impressionnants métiers Leavers.

Tout cela a poussé les deux architectes à concevoir leur projet comme un «oxymore», en jouant de tous les contraires : l’acier dialogue avec la pierre, le jus brut de la vieille usine regarde sa nouvelle peau de verre hypertechnologique avec étonnement. «Nous voulions avoir une attitude d’archéologue plutôt que d’architecte du patrimoine : garder les traces du temps et les cicatrices et ainsi permettre à l’usine de continuer sa vie (1).»

Le noyau dur de la Cité, c’est un musée avec une exposition permanente qui retrace en cinq séquences l’histoire de la dentelle, au départ un artisanat du XVIe siècle pratiqué à l’aiguille ou au fuseau. Calais ne rentre dans cette saga qu’en 1816, par le versant industriel, grâce aux métiers et techniques inventées par les Anglais de Nottingham, maîtres du tulle mécanique, qui seront importées en contrebande dans la ville.

Fibres. Parade de costumes, de la Belle Epoque à Christian Lacroix, danses de motifs brodés, étals de métiers, l’histoire sociale et les éclats luxueux de cette matière sont ainsi entremêlés dans une scénographie de Pascal Payeur. Cinq des fameux métiers Leavers conduits par des ouvriers tullistes, retentissent à nouveau dans l’ancienne fabrique, entre grâce créative et bruit fracassant.

Cette Cité-musée (22,3 millions d’euros) n’arrive-t-elle pas un peu tard, tel un embaumement rimant avec chômage, délocalisations et plans sociaux ? Un projet de musée industriel ne traînait-il pas d’ailleurs dans les cartons depuis… 1841 ? Un livre local, Qui veut tuer la dentelle de Calais ? dérange avec cette question (2). Les promoteurs de la Cité, qui entendent sauver ce qui reste de la dentelle sinistrée, argumentent. La conservatrice en chef, Martine Fosse, insiste sur la nécessité de créer un lieu de mémoire à Calais, pour raconter cette légende industrielle méconnue. Mais en l’inscrivant dans le présent et le futur, grâce à des expositions artistiques temporaires, des défilés de mode, de la recherche sur de nouvelles fibres, des concours, des résidences de créateurs.

La maire, Natacha Bouchart, qui a compris les liens entre culture patrimoniale et économie, souhaite faire du site «un outil vivant de développement touristique». Les dentelliers résistants sont de la partie, comme Olivier Noyon, qui veut imposer le label «Dentelle de Calais» auprès des couturiers et des entreprises. Chantal Thomass n’a pas attendu pour être la marraine de cette étoffe tissée de paradoxes, «la seule vraie dentelle» à ses yeux.

Calais la malmenée, en quête de reconversion, se donne là une pierre contemporaine dans une ville de brique, et de broc, détruite pendant la Première Guerre mondiale. La résille de Moatti et Rivière s’ajoute à un autre ensemble d’exception, le Channel, abattoirs transformés en 2007 par Patrick Bouchain en scène nationale très inventive.

Anne-Marie Fèvre

(1) Lire la Promesse de l’image, de Moatti et Rivière, Images en manœuvres Editions, 35 €. (2) Qui veut tuer la dentelle de Calais ? de Thierry Butzbach et Morgan Railane, éditions Les Lumières de Lille, 20 €.