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Calais : «Tu as ouvert les yeux, tu ne peux plus les refermer»


«WELCOME»   - Pourquoi s'engage-t-on aux côtés des migrants, à Calais ? A l'occasion de la sortie du film Welcome, de Philippe Lioret, Libé Lille a demandé aux bénévoles de raconter ce qui les a fait passer de l'autre côté de la barrière. Chaque jour, ils préparent à manger, distribuent les repas et les vêtements, aident à rédiger des demandes d'asile, soutiennent le moral des clandestins sans-abri, alors qu'

Jean-Claude Lenoir, enseignant, vice-président de l'association Salam - «En 2002, dans ces eaux-là, les migrants étaient de plus en plus nombreux à passer devant chez moi. J'habite entre le commissariat et un parc où ils avaient l'habitude de se réfugier. C'était un moment où il pleuvait énormément. Quand je rentrais du travail le midi, avec ma femme, on en faisait entrer quelques-uns, on leur donnait du thé, des brioches, des trucs comme ça, on faisait sécher leurs vêtements. Quand je vois quelqu'un en difficulté, c'est plus fort que moi, c'est spontané, sans réflexion, je donne facilement. L'un des premiers migrants que j'ai aidés, c'était un journaliste afghan, je me souviens bien de lui. Quand on repartait au travail, ils partaient aussi, c'était d'ailleurs pas toujours facile, de les voir sous la pluie.
Un jour, des policiers attendaient devant chez nous, ils avaient vu entrer les migrants : ils les ont arrêté, ils ont sorti leurs matraques. J'ai trouvé cela incroyable, qu'on puisse attendre pendant une heure et demie pour cela. Je pense que c'était de la provocation vis à vis de moi, du bénévole qui osait faire entrer des migrants chez lui. J'ai demandé des explications, ils m'ont emmené au commissariat, ça a été ma première garde à vue. Et personne dans leur hiérachie n'a dit, attendez, il y a quelque chose qui ne va pas ! Arrêter des migrants quand ils sortent de chez quelqu'un. Je trouve tellement tragique que l'homme ne prenne pas le dessus sur le métier. Je suis facilement révolté, mais là, j'ai été révolté à jamais. Je crois qu'à Calais, une fois que tu as ouvert les yeux sur ce qui se passe, tu ne peux plus les refermer.»

René Biguet, bénévole au Secours Catholique - «Pourquoi mon engagement ? Je ne peux pas accepter qu'on laisse des gens dans la rue comme ça, ils ont le droit à la même vie que moi, ils sont sur terre comme moi. Vous savez, j'ai un parcours... j'ai ma famille qui a subi ça durant la dernière guerre. Les rafles, tous les trucs comme ça. Je ne pensais pas revoir ça. Qu'est ce qu'on doit penser, quand on entend dire des policiers, "On va accrocher les wagons" ? Ils avaient décidé de faire une rafle dans la ville, et il y avait des bus : c'est en amenant les bus qu'ils disaient cela, "on va accrocher les wagons". Après, ils s'excusent, ils disent qu'ils ne l'ont pas dit, et la parole d'un policier contre ma parole... Cela veut dire quoi, cette phrase ? Je ne dis pas que la situation est la même, mais quand on monte de force des migrants dans un bus, la manière rappelle des souvenirs. Et les migrants, ils ne viennent pas ici par plaisir, ils fuient la guerre. Ma femme et moi, on est indigné. On a dit après la guerre, "plus jamais ça". Pour moi, maintenant, ce "plus jamais", non, c'est faux. Qui me dit que demain, il n'y aura pas un fou qui décidera de mettre ces gens dans des camps ? Et ce qu'on fait aux bénévoles ? On héberge quelqu'un, on peut aller en prison. Cette ordonnance de 45 (qui interdit d'apporter une aide au séjour des personnes en situation irrégulière, NDLR), elle n'est pas acceptable dans l'ordre républicain, mais elle arrange bien les autorités».

Michaël Dauvergne, enseignant, bénévole à C'sur : «Ca vient de l'éducation. Mes grands parents étaient très catholiques, engagés dans les mouvements de jeunesse, dans l'oecuménisme. Quand les gitans arrivaient dans notre village, près de Lyon, mes copains à l'école les traitaient de voleurs de poules. Pas mes grands parents. Ils étaient les premiers à ouvrir leur porte. Ma mère, sans être catholique, aidait les demandeurs d'asile à faire leurs dossiers. J'ai suivi aussi. Etudiant à Lyon, j'ai participé aux maraudes des camions du coeur qui allaient à la rencontre des deshérités, sous les ponts, dans les squats. Quand j'ai été nommé prof à Calais, j'ai rencontré Francis Gest, prof de maths dans mon collège, bénévole auprès des migrants à Sangatte. Quand Sangatte a fermé en décembre 2002, je me suis engagé plus. J'ai fait les premières maraudes à la rencontre des migrants réfugiés dans les bunkers à l'époque. J'ai participé à l'occupation de l'église Saint-Pierre Saint-Paul. J'étais naïf, je pensais que les pouvoirs publics finiraient par se rendre compte, dès les premières semaines que la situation était incroyable, tous ces gens dehors. Mais quand j'ai vu que l'année 2003 s'est terminée sans que rien ne change, je me suis dit qu'on était parti pour des années. Et qu'il n'y aurait rien d'autre que la répression.»

Propos recueillis par Stéphanie Maurice et Haydée Sabéran

Lire aussi la critique de Gilles Renault dans Libération :

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