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Suicides en prison : le coup de gueule d'un avocat


JUSTICE - En trois ans, deux de ses clients se sont suicidés en prison, à Douai. Me Jacques-Louis Colombani, avocat à Dunkerque, dénonce le manque de moyens humains, chez les juges et les gardiens de prison. Interview.

Deux de vos clients ont été retrouvés pendus dans leur cellule, en trois ans.

Oui. Le premier avait été condamné à 15 ans de prison pour diverses agressions qu'il a toujours nié avoir commises. Sur mon conseil, il fait appel. Il est incarcéré à Douai : le 25 décembre, je reçois un coup de téléphone du directeur de la prison à mon cabinet, il me dit «vous êtes le seul que je peux prévenir aujourd'hui. » Le second client(, comme le premier, d'ailleurs, m'est arrivé par le biais de l'aide juridictionnelle. C'était une journée chargée, je l'ai assisté lors de l'interrogatoire de première comparution, il a été mis en examen pour agression sexuelle sur mineur avec autorité. Le juge des détentions et libertés a décidé de le laisser en liberté, mais le parquet a fait appel. J'avais prévenu mon client qu'il valait mieux qu'il prépare un baluchon, et que s'il allait en détention, on ferait un pourvoi en cassation. Le 6 janvier, il est mis en prison, à la maison d'arrêt de Douai, le 13 janvier, il est retrouvé pendu. Il n'aura pas eu le temps de connaître le résultat de son pourvoi.

Quelle a été votre réaction à cette nouvelle ?

J'ai été triste. Deux coup sur coup, ça fait beaucoup. Et j'ai envie de dire ras-le-bol. Devant la mort d'un homme, qui est tout de même un paroxysme, je ne me résigne pas. On ne débattra jamais pour savoir s'il était coupable ou pas, la victime n'aura jamais son procès. La justice ne sera pas rendue.
Mettons les moyens là où il faut les mettre. Je crois que tout le système est en cause. Nous n'avons pas assez de magistrats dans ce pays. Si on en croit certains syndicats, on pourrait penser qu'ils sont plus occupés à compter, parce qu'on leur demande des statistiques, qu'à juger. On demande aux surveillants de prison de gérer 200 mecs quand les prisons sont faites pour en accueillir 50.

Quelles solutions voyez-vous ?

Il faut avoir le courage d'imposer un numerus clausus dans les prisons : le 51e, on ne l'accepte pas. Mais en même temps, le magistrat, qui a l'obligation de prévenir des troubles à l'ordre public, quelles autres solutions a-t-il que de plaider la mise en détention ? Pourtant, des alternatives existent ; avec la loi Perben, les aménagements des peines sont possibles. Il est dommage que ce soit la partie la moins bien payée de l'aide juridictionnelle. Pourtant, le détenu doit se réinsérer. J'ai un jeune adolescent, il a pris deux ans pour avoir volé du cuivre. Pendant sa détention, il a passé son CAP dans le bâtiment. C'est ce qui va sans doute lui éviter la peine plancher. Mais il faut donner des moyens aux services d'insertion et probation pour qu'ils puissent suivre les détenus.

Que pensez-vous du projet gouvernemental de faire disparaître le juge d'instruction ?

Il faut des juges d'instruction, c'est le seul organe capable de tenir tête au parquet. Avec ce projet, le parquet devient tout puissant. C'est une justice à l'américaine, où l'avocat doit faire son enquête pour défendre son client. Mais comment voulez-vous, en étant payé par l'aide juridictionnelle, que je puisse me permettre de mener une enquête à la Sherlock Holmes ? Il ne s'agit pas de casser un système en faisant un copier-coller de ce qui existe en Amérique du Nord et qui ne marchera pas en France. Il s'agit de lui donner des moyens.

Propos recueillis par Stéphanie Maurice