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Colère à l'université, Baudelaire au troquet


ENSEIGNEMENT - Les blocages d'université, ras-le-pompon. Les universitaires de Lille 3, pour marquer leur colère tout en continuant le travail, préfèrent faire le mur. Avec cours dans des bars, au palais des Beaux-Arts, bientôt dans les maisons-folies. Cet après-midi, c'était au Morel, face à l'Opéra de Lille, La ville dans la ville, cours de littérature comparée, centré pour cette fois-là sur Baudelaire et Paris. Les vers du dandy brûlé de syphilis, éternel fauché, y prennaient volontiers leurs aises, dans ce café très vieux siècle, qui fut une ancienne boutique de lingerie chic.

Huit étudiants blottis autour de leur professeur de lettres modernes et des guéridons cerclés de cuivre. Sur les banquettes de bois, les manteaux s'affalent, et une trousse dégorge de feutres fluo. Joëlle Prungnaud, l'enseignante-chercheuse, justifie son désir de sortir de l'université : «Ce que nous faisons peut servir aux gens, c'est d'abord tout simplement l'occasion de réfléchir. Cet équilibre entre enseignement et recherche [que la réforme du statut des enseignants-chercheurs remet en cause, ndlr] est essentiel.»

Le cours commence, on se penche sur des carnets, des feuilles libres, sur les photocopies distribuées. «Le Paris de Baudelaire n'est pas le Paris musée, restauré, d'aujourd'hui - on peut s'en réjouir, ou le mettre en cause d'ailleurs-, mais un Paris de transition», explique Joëlle Prungnaud. Elle remet ses lunettes sur le bout de son nez, cite Zola, qui décrit Paris dans «un nuage de plâtre», ville «éventrée, hachée». Et rend vie à un Baudelaire si dépensier que la famille fit conseil, et restreignit les vivres. Un notaire, tous les mois, donnait une pension «parcimonieuse» au poète. «Il a eu un nombre d'adresses incroyables, il vivait dans des meublés, des hôtels, parfois il n'avait pas de table de travail, alors il travaillait sa poésie tout en déambulant dans la ville.»

Chez Morel, une habituée vient d'entrer, claque la bise au serveur, le comptoir s'anime, discussion et cliquetis des tasses. Un monsieur lit le Canard enchaîné, qu'il a étalé de toute sa longueur sur sa table. Un couple, au fond, hausse la voix, échauffé par les bières bues. Dehors, Lille, la vieille Bourse du 17e, l'opéra néo-classique du début du 20e, le centre commercial imaginé par Jean Nouvel, les quartiers populaires anciennement ouvriers qu'on réhabilite. La prof continue son cours, on tend l'oreille : «Notez soigneusement : "Le vieux Paris n'est plus (la forme d'une ville change plus vite, hélas !que le coeur d'un mortel)". Vous remarquez que la ponctuation vient hacher cette constatation, comme une blessure supplémentaire.» On aurait envie, tiens, que ce soit tous les jours, les cours hors les murs.

S.M.

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