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A Calais, les migrants s'entassent, traqués par la police


SOCIÉTÉ - Des ados. Dehors, dans des cabanes de planches et de couvertures, près d'une usine chimique, à Calais. La nuit, ils tentent de passer en Angleterre, «sous les camions». Dessous? «Dessous, sourit Esmatollah, 15 ans, pas très grand, l'oeil triste, un peu d'acné. On fait comme on peut. On n'a pas d'argent pour un passeur».

Il est 14 heures, l'heure des repas distribués par le collectif C'Sur, quai de la Moselle, près de l'Hôtel de ville. Esmatollah et ses copains n'y sont pas, par «peur des policiers».

Inquiets de ce charter vers Kaboul annoncé pour ce soir, depuis plusieurs jours, après une proposition faite par les Britanniques à la France. Mais hier, le quai d'Orsay a indiqué que les 43 Afghans, -dont 18 se déclarent mineurs-, présents au centre de rétention administrative de Coquelles ne seraient pas expulsés «du fait de la situation en Afghanistan, et au regard des critères habituellement utilisés par le Haut commissariat aux réfugiés».

Invisibles. A Calais, le chiffre des migrants à la rue enfle. «Un an après la fermeture de Sangatte, ils étaient 200, et déjà on alertait tout le monde», fulmine Monique Delannoy, présidente de La Belle Etoile, membre du C'Sur (1). Cinq ans plus tard, ils sont entre 500 et 700.» Le sous-préfet Gérard Gavory, minimise : «entre 450 et 500». La maire UMP Natacha Bouchart en compte «500 à 600». En fait, ils dépassent le millier, éparpillés sur le littoral. Les cabanes et les tentes ont essaimé près des terminaux de ferries et des aires d’autoroute, là où ils peuvent tenter d’embarquer en douce, encadrés ou pas par les passeurs. Ils sont 300 vers Dunkerque, 150 vers Saint-Omer, selon les associations, Mrap et Secours Catholique. Sans compter les invisibles, que les bénévoles n'ont pas repérés. Et ceux des côtes bretonnes et normandes, et les centaines qui errent autour de la gare de l'Est à Paris.

Tout le monde réagit face au nombre. Les humanitaires, qui réclament de l'aide. La mairie, obsédée par «l'image» que donnent les migrants. Les forces de l'ordre, qui veulent faire baisser le chiffre. Il y a une dizaine de jours, une opération de police, chiens, hélicoptère, et projecteur géant, dans les bois de Calais, où dorment les migrants. Le quotidien Nord Littoral raconte que journalistes et bénévoles ont été encerclés par un cordon de police rien que pour eux, pendant quarante minutes. «Rétablir l'ordre», assure le sous-préfet. En fait, harceler, pour décourager. Jean-Claude Lenoir, de l'association Salam, qui distribue les repas du soir, a été arrêté, gardé à vue, mis en examen pour un «outrage», qu'il nie.

La mairie propose de rénover trois maisons d'éclusiers, et d'installer un préau pour permettre aux assos de servir les repas. Mieux que l'actuel terrain, boueux et venteux. Elle  finance les sanitaires. Trop peu pour C'sur  qui menace de stopper les repas aujourd'hui. «Les migrants continueront à manger dehors, pas dans les maisons», précise Monique Delannoy. «madame le maire nous a dit que les repas seront distribués dansla cour, macadamisée, parce que "c’est plus facile à nettoyer"».

Tuberculose. Dans le bois, Esmatollah raconte qu'il vient de la région de Qazni, en Afghanistan, qu'il n'est pas beaucoup allé à l'école «à cause des Talibans», que son père a été tué, et que sa mère l'a caché, «à la maison, pendant un mois» pour qu'il ne soit pas enrôlé. «Le voyage jusqu'ici a duré plus d'un an. Ça fait six mois que je n'ai pas appelé ma mère». Un garçon s'approche, un pouce bandé de gaze blanche. «Un chien m'a mordu, la nuit où la police est venue». Il est passé à la Permanence d'accès aux soins de santé de l'hôpital de Calais, qui assure 280 consultations par mois depuis son ouverture en 2006. «Le mois dernier, nous en avons eu 520», constate Céline Dallery, infirmière. Gale, furonculoses,  parfois des blessures de chutes de camions, coups de couteau des passeurs, matraque des policiers. Quelques tuberculoses. Facteur aggravant, les Erythréens ont été expulsés de leur squat du centre-ville. «Ils avaient accès à un point d’eau, ils arrivaient à se laver, chacun avait son couchage, et un toit, dit l'infirmière. Maintenant, ils dorment dehors, alors qu’ils sont fragiles au froid».

La maire UMP trouve que le tableau qu'on dresse est trop noir. «Vous constatez comme moi que ce sont des jeunes hommes correctement habillés. Ils sont en forme, alertes. Pas affamés, ni malheureux».

Dans le sable des dunes, un copain d'Esmatollah ramasse une boîte de sardine, la jette sur un tas d'ordures : «Voilà comment les policiers nous traitent. Comme des chiens Pourquoi?» Il étend les bras : «On est des humains».

Stéphanie Maurice et Haydée Sabéran

Photo Archives Reuters/Pascal Rossignol