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Toute la nuit, alcool à domicile


SOCIÉTÉ - Lille, un vendredi, vers 23h. Chez Alerte Apéro, c’est le coup de bourre. La société livre alcools forts, vins et bières à domicile de 21h à 5h du matin, avec quelques extras : snacks à grignoter, jeux de belote, préservatifs ou éthylotests. «On en vend, des éthylotests», confie Benjamin Grimond, l’un des deux livreurs. « Mais, d’après moi, ils servent plus à faire des concours qu’à vérifier  

Première étape, le Vieux-Lille, immeuble plutôt bourgeois, pour une bouteille de whisky à l’intention de deux étudiants plutôt bien partis. «On vous attend depuis quarante minutes, y a Pizza 30, vous c’est 40. Quand on vous appelle, c’est qu’on n’a plus d’apéro, et qu’on est vraiment pressé !» Thomas Cubizolles, le patron, avait prévenu : «On nous téléphone pour deux raisons : en première partie de soirée, il y a des invités imprévus et tout est fermé. Ensuite, ce sont des gens qui tombent en rade de boissons dans une fête.»

Fantôme. Retour au centre de Lille, rue Solférino. De la fenêtre ouverte s’échappent brouhaha de voix et musique à danser. Camille, petit haut blanc bouffant et maquillage discret, descend vite fait les escaliers. «Nous sommes quatre colocataires, tous commerciaux. Et nous sommes des adeptes d’Alerte Apéro. Ca nous rend bien service, on n’a pas à y penser, même quand on invite des amis, et c’est moins cher que le petit commerce du coin.» Minimum obligatoire de la livraison sur Lille, 18 euros, et sur les villes périphériques, 28 euros. 18 euros, c’est la formule éco : une bouteille de whisky ou de vodka premier prix, des gâteaux apéritifs et des glaçons. Benjamin rappelle à la demoiselle une soirée déguisée, visiblement animée. Elle rougit, un peu gênée : «ah oui, celle-là …» Dans la voiture, il rigole : «Si je me souviens bien, elle était déguisée en fantôme. Ils ne voulaient absolument pas descendre, ils ne voulaient pas qu’on les voit comme cela.» 

Benjamin Grimont a dérogé à la règle, cette fois-là : par mesure de sécurité, il refuse d’entrer dans les immeubles, par crainte d’un guet-apens. L’alcool, ce n’est pas comme la pizza. «C’est pour cela qu’on livre en voiture, parce qu’en scooter, au coin de la rue, on serait déjà par terre», remarque, lucide, le livreur. Mais il aime bien son job, «les gens ne sont jamais méchants. Bon, ils piquent la machine à carte bleue, qui coûte assez chère, ils croient que c’est une game boy, mais je ferais pareil si j’étais alcoolisé. On nous dit souvent, allez prenez un petit verre. Mais on leur explique qu’on ne peut pas boire. Et  ils se rendent compte, ah ouais, vous conduisez…»

En une petite dizaine de livraisons, ce soir-là, on sera  invité à repasser dans trois fêtes, «après le boulot». «Des fois, on a envie de rester. Mais on doit repartir, la mort dans l’âme», avoue Benjamin. Impossible de boire une goutte d’alcool. «Je ne compte plus les fois où j’ai soufflé dans le ballon. Mais je serais la police, je vois une voiture siglée Alerte Apéro, je l’arrête tout de suite !», sourit-t-il. «Maintenant, les policiers nous connaissent, ils savent qu’on ne boit pas.»

Thomas Cubizolles confirme : «On est plutôt bien vu par la mairie et la police, les gens ne conduisent pas grâce à nous. Et nous ne livrons qu’avec une adresse, jamais dans les parcs ou dans la rue, et la personne qui réceptionne l’alcool doit être majeure.» Roger Vicot, adjoint à la sécurité et à la vie nocture à la mairie de Lille, est tout de même sceptique : «Nous n’avons pas de prise sur un service à domicile, mais on peut se demander si les gens ne vont pas reprendre pas la route après la fête.»

Chouille. Le patron d’Alerte Apéro ne se sent pas concerné par les mesures de Roselyne Bachelot, comme l’interdiction de la vente aux moins de 18 ans. «Notre clientèle, c’est plutôt 30-35 ans, CSP+. Ceux qui ont l’argent pour se payer notre service.» Roger Vicot : «Notre principale préoccupation, c’est la consommation d’alcool sur la voie publique. Au-delà de la réglementation, il faut aussi se poser la question de fond : pourquoi les jeunes éprouvent-ils le besoin de s’alcooliser vite et fort ?» Ali, client régulier d’Alerte Apéro, n’a pas de réponse, mais approuve le durcissement prévu de la loi. «On boit de plus en plus jeune, c’est bien de faire la fête mais dans des limites tout de même. Les jeunes se lâchent trop. Oh la, je vous dis n’importe quoi, je suis dans un état pitoyable, on est en pleine chouille !» Mais à la maison.

Stéphanie Maurice

Photo /Flickr

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