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La banderole : «une provocation mise en scène»


FOOT - Rien à voir avec l'affaire Ouaddou. Selon Williams Nuytens*, maître de conférence à l'université d'Artois, spécialiste de la sociologie du sport, la banderole insultante déployée samedi soir au stade de France pour la finale de la coupe de la ligue entre le PSG et le RC Lens ne peut être assimilée à l'acte raciste, mais isolé, d'un supporter messin envers le footballeur valenciennois. Là, c'est une affaire collective, une provocation réfléchie, vécue comme une affirmation de soi : l'acte radical d'un groupe de supporters ultra.

Pensez-vous que cette banderole passe un cap dans les agressions verbales entre supporters ?
Non, elle utilise finalement des ressorts assez classiques : le registre du Nordiste alcoolo, inculte a déjà été utilisé plusieurs fois dans les stades. Là, la banderole rebondit sur des faits-divers comme l'affaire d'Outreau, qui est restée présente dans la conscience collective. De plus nous sommes dans un contexte où la représentation de la région a été alourdie par Bienvenue chez les Ch'tis. Ce film joue sur le registre des stéréotypes pour faire rire, mais il peut être vu au premier degré. Je ne sais pas ce qu'on mobilise en premier quand on pense au Nord-Pas-de-Calais, mais je ne crois pas que ce soit Lille, capitale de la culture, mais plutôt la mine ou le chômage. C'est une sociologie imaginaire, mais basée sur des réalités passées. En fait, cette banderole touche une population qui est déjà étiquetée. Elle parle très vite, et c'est son rôle, puisque c'est une provocation, mise en spectacle.

Que voulez-vous dire par là ?
Pour les supporters ultras qui ont déployé cette banderole, c'est un outil qui permet d'affirmer leur identité. Ce que dit la banderole est finalement secondaire pour eux. Ce qui compte, c'est l'exploit, faire parler d'eux, paraître. Il y a surtout l'intérêt d'être catalogué comme un vrai groupe autonome qui n'a pas peur de la provocation.

Pouvez-vous expliquer ce qu'est un supporter ultra ?
Il s'agit de se distinguer du supporter normal, né du désir de certains de s'investir autrement dans le stade. C'est un engagement radical dans le supporteurisme, c'est à dire dans le choix d'un camp. Il y a moi et les autres, les autres étant vécus comme les adversaires. Ils s'organisent sur un schéma identitaire. D'ailleurs, les groupes ultra se constituent d'abord autour d'un noyau d'amis, ou sur des bases politiques. Les skinheads au PSG, par exemple, où on retrouve les supporters ayant le plus intégré cette culture autonome.

Pourquoi parlez-vous de "culture autonome" ?
Ces groupes de supporters ne respectent pas les normes des stades, ils n'appartiennent pas au kop. Au début, les supporters traditionnels les regardent avec hostilité. Mais ils sont toujours là, dans tous les déplacements. Alors, ils se construisent un capital sympathie. Regardez à Lens, depuis deux ans, le kop reprend en écho des chants des Red Tigers, les ultras lensois.

Parce qu'il y a des ultras à Lens ?
Bien sûr ! Cette idée d'un public différent à Lens est un qualificatif identitaire fabriqué. C'est tellement bien foutu que quand on parle de Lens, on parle surtout de son public, le meilleur, le plus indéfectible. Ce qui est exact, c'est que Lens a un groupe  de supporters extrêmement important, le 12 lensois, qui comporte 75 sections et 7 000 membres, c'est énorme. Et le 12 lensois a une charte commune à toutes les sections, qui explique ce qu'est le bon supporter, toujours là. Il y a une norme spécifique à Lens, et il faut bien se comporter. Les dirigeants parisiens auraient bien voulu en faire autant, mais la culture autonome est plus importante au PSG.

Sont-ils des hooligans, comme en Angleterre ?
La caractéristique du hooligan, c'est qu'il vient d'un milieu très populaire. Ce n'est pas le cas des ultras. Même si les élites sociales n'y sont pas massivement représentées, on y trouve tous les niveaux sociaux. Ce qui se voit d'ailleurs dans le vocabulaire utilisé dans la banderole. Et dans un groupe ultra, on peut y trouver son compte au niveau de l'ego, car on peut avoir des responsabilités. Il est organisé comme un parti politique, avec des prosélytes, des leaders, des gens qui gravitent autour des leaders, des sympathisants. On y gravit des échelons.

Pensez-vous que les sanctions envisagées peuvent être efficaces ?
Il n'y a que deux solutions : soit ils restent dans les tribunes sous conditions, soit on décide que ce type de population ne figure plus dans les stades. Il faut être conscient que le choix du tout-répressif, comme en Angleterre, ne fait que déplacer le problème dans l'espace, autour des stades.

Quelles vont être les suites de cette affaire ?
Ce qui est sûr, c'est que les ultras lensois vont répondre : cette banderole est une source de contentieux nette et précise. Cette vengeance peut prendre la forme d'un bâchage, d'une expédition punitive, dans un mois ou dans un an, peut-être en utilisant un groupe ultra ami... C'est imprévisible, mais il y aura vengeance.

Propos recueillis par S.M.

* auteur de "La popularité du football, sociologie des supporters à Lens et à Lille". Il travaille aujourd'hui sur la violence dans le football du dimanche.