Comparateur de rachat de crédit

Aubry habitée par le social


MUNICIPALES - Les maisons de brique alignées, les courées, impasses minuscules au pied des anciennes usines. Les bâtisses bourgeoises dans la rue d’à côté, avec un jardin devant, un air d’Angleterre. Voilà Lille. Ses barres HLM, pas loin du centre d’affaires pimpant. Ses six quartiers sur dix en «politique de la ville», et son habitant sur deux non imposable. Martine Aubry, maire socialiste depuis 2001, le répète : «Lille est la seule grande ville qui a gardé ses classes populaires».

Ici, c'est 25 % de logement social, et beaucoup plus si on ajoute les petits logements privés pauvres, voire les taudis des marchands de sommeil, à qui la maire fait la guerre. La mixité se voit à la fête de la soupe à Wazemmes, aux Fenêtres qui parlent, galeries d’art de rue au printemps, dans des fêtes de rue monstres où tout le monde se mélange. «La fête de Lille 2004, même ma mère y est allée», sourit Makki Talmouti, travailleur social et boxeur à Moulins.

Casino. Cette mixité, Martine Aubry, partie pour rester maire - un sondage lui donne 64 % au deuxième tour face au jeune député UMP Sébastien Huyghe -, a fait le choix d’en faire un des enjeux phares de l’élection. Elle annonce 12 000 nouveaux logements, dont 4 000 sociaux, et 400 très sociaux. Une frénésie dont l’objectif est de calmer les prix, alors que la bonne image de la ville attire les investisseurs, au risque de faire chauffer les loyers.

Pour arriver à ses fins, la mairie achète les terrains en friche, des anciennes usines, pour les revendre à des promoteurs, avec une contrainte : 30 % de HLM, indécelables de l’extérieur. La ville achète ce foncier grâce aux recettes du casino. Eric Quiquet, l’allié vert de la maire - qui part seul au premier tour pour tenter de faire mieux que les 15 % de 2001 et peser sur le mandat à venir -, était contre les machines à sous : «un impôt sur les pauvres». Mais, grâce à ces recettes, la vente d’une filiale du Crédit municipal et la baisse des dettes, la maire annonce doubler l’investissement avec 80 millions d’euros si elle gagne.

Des critiques ? A la Confédération nationale du logement, offensive association de locataires, Eddie Jacquemart n’a «pas grand-chose à reprocher» à l’équipe PS-PC-Verts sortante. «On peut parler de logement social avec un grand S, au mieux avec les moyens qu’ils ont.» «Il faut mettre fin à la logique de ghetto», dénonce de son côté Sébastien Huyghe (UMP),principal adversaire de Martine Aubry, outre Jacques Richir (Modem). Il pense, par exemple, que le quartier populaire de Fives, où «la plupart des logements en construction sont des logements sociaux, se paupérise». La mairie, elle, annonce 1 500 logements à venir dans le quartier, dont 500 sociaux. Autre colère du candidat UMP : «Les classes moyennes ont fui. Restent ceux qui ne paient pas de taxe d’habitation et foncière, et ceux qui paient tout.» Autour de 700 euros pour un petit locataire dans le quartier populaire de Wazemmes. La maire assure qu’ils n’augmenteraient pas. D’autres craignent l’inverse. «Ici, à Wazemmes, les bobos arrivent. Ça va finir comme dans le Vieux-Lille, dont on a chassé les pauvres», pense un habitué au comptoir de Chez Ben, où se mélangent étudiants, gens du spectacle ou prolos.

Dans les années 80, la ville a poussé des pauvres vers la périphérie. Cette fois, on a essayé de reloger les gens dans leur quartier, ou dans Lille. Quelques familles de la «barre grise» du boulevard de Strasbourg, détruite en 2002, ont été relogées hors de la ville. «Leur choix», assure Lille Métropole Habitat, le bailleur. «Et les nouveaux logements qui vont remplacer les barres Porte-de-Valenciennes, est-ce qu’ils seront pour les gens de ces barres ?» doute un habitant de Moulins. Martine Aubry : «S’ils veulent être là, ils seront là.»

Reste à savoir s’ils se mélangent. «C’est pas une masse d’un côté, une masse de l’autre. J’ai vécu à Marseille, je sais de quoi je parle, dit un vendeur du marché de Wazemmes. Ici, on est à l’aise.» Nordine Essafi, travailleur social, raconte que dans le centre «les précaires et les cadres se côtoient sans se parler». Les habitants des HLM de Saint-Sauveur, quand certains logements ont été vendus au privé, ont appelé les arrivants les «rénovés». «Alors, on a fait en sorte qu’ils se côtoient. On organise des fêtes, des repas dehors. On fait du porte-à-porte. Certains nous ont claqué la porte au nez, mais on a eu jusqu’à 500 personnes. Le jeune qu’on regardait difficilement dans l’entrée a mangé avec le RMiste, le pompier, le médecin. Ça change les regards», poursuit Nordine Essafi. Aubry voudrait mixer tous les quartiers, en «faisant de la ville partout», partout des places, une œuvre d’art, des commerces, des logements, du transport. Le vert Quiquet, chargé des transports à la communauté urbaine, se plaît à dire que, grâce au ticket de métro moitié prix pour les trajets courts, le centre-ville est à 60 centimes de Fives. La maire veut aussi diviser par deux les tarifs des cantines, pousse les étudiants des écoles de commerce à donner des cours de soutien, les entreprises à parrainer des jeunes. La ville a monté Lille-Plage, sable, piscines ; et Lille-Neige, luge et patinoire, au pied des barres : 52 % des familles ne partent pas en vacances. «Ça fait penser à de l’humanitaire...» s’énerve un travailleur social. Un autre dit que c’est «du saupoudrage, qui n’a pas changé la vie des gens» et masque la pénurie de moyens dans le social avec la fin des contrats aidés. «L’argent, on peut en trouver. La preuve : à Lille on est prêt à s’endetter pour un stade.» (Lire ci-contre.)

Abstention. Martine Aubry reconnaît «encore trop de situations de détresse». Pascal, la cinquantaine, smicard : «On est des ouvriers, et les ouvriers, ils s’en sortent pas. Ça fait un an et demi qu’on attend un logement social. On n’est pas prioritaires, sous prétexte qu’on a plus d’enfant à charge.» Il partage un F1 avec Patricia, femme de ménage. Ils paient 590 euros par mois dans le privé. «On fait rien pour nous. Je paie 4,50 euros de parcmètre tous les jours pour aller bosser. Pourquoi ?» Il travaille en boîte de nuit, incompatible avec les horaires du métro. Ils n’iront pas voter. «Dans le temps, je votais, oui. Maintenant, c’est fini.» En 2001, l’abstention a touché plus de la moitié des électeurs lillois.

Haydée Sabéran

La totalité du dossier «Municipales à Lille» est en kiosques dans Libération d'aujoud'hui, avec les photos d'Aimée Thirion.