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«Ça ressemble à rien»


EXPO - «Et ça, ça ressemble à quoi?»  Au mur, quatre photos de femmes, jeunes et vieilles, couleurs vives, visages trop maquillés. C'est au Tri Postal, à Lille, l'expo Passage du Temps.  Souleïman, 14 ans : «Ça ressemble à rien». Thibaut, le guide :  «Les quatre personnages que vous voyez, c'est l'artiste elle-même, Cindy Sherman, qui se transforme. Elle veut se moquer des femmes qui ont peur de vieillir, dénoncer la société qui les oblige à se comporter comme ça. A chaque fois que tu allumes la télé, on te montre des femmes parfaites». Plus loin, la même, en clowns. Enrique, 15 ans : «Elle est encore vivante?

Ateliers. Souleïman et Enrique, timides dans l'immense Tri Postal, à Lille. Ils arrivent du centre social de l'Arbrisseau de Lille-Sud, pour l'expo «Passage du temps» de la Fondation Pinault. Ils ont suivi des ateliers mix avec l'association culturelle lilloise 15.8 et préparent une soirée son et vidéo à l'Aéronef. Les autres ados ont travaillé le cinéma, ils n'ont pas pu venir, pour cause de match de foot. Alors ils ne sont que deux. Leur guide, Thibaut Bracq, chemise siglée "Lille 3000", les cheveux blonds sur les épaules, parle fort, marche vite, traverse l'expo vite, agite ses mains, bouge, attire. Autour des deux garçons, une petite foule s'agglutine.

Crâne. Un petit tunnel. Au fond, un film en boucle signé Aernout Mik. Qu'est-ce qu'ils voient? «Un immeuble qui s'écroule, on dirait qu'on est dans l'image», dit un des garçons. Au premier plan, une foule dans un escalator semble ralentie, comme dans un rêve, pas paniquée du tout. «L'artiste se moque des films catastrophe», explique le guide. Plus loin, une photo noir et blanc. De loin, c'est un crâne, de près, des corps nus d'hommes et de femmes autour de Piotr Uklanski, l'artiste.  «Pourquoi un crâne?», tente le guide. «A cause de la mort» répond Enrique. «On pense aux vanités, ajoute Thibaut. Au Moyen-âge, on mettait des crânes dans les tableaux pour dire "quoi que je fasse, ça sert à rien, il y a la mort au bout". Et pourquoi des corps nus?». Silence. 

Vidéosurveillance. Ici une salle de bains, et une douche, celle de Psychose, d'Hitchcock. Les garçons ne connaissent pas le film, mais ils ont entendu parler du remake. Thibaut raconte : «Une femme prend sa douche, un homme s'approche avec un couteau immense, la musique inquiétante...» Ici, c'est le silence. On devrait entendre le bruit de l'eau, mais elle ne marche pas. Des caméras filment tous les angles de la douche. On les retrouve sur un écran noir et blanc, dans un coin de la pièce, comme un écran de surveillance. «Ça vous rappelle rien?» «Si, les magasins», répond Souleïman. Thibaut : «C'est comme si on était tout le temps dans l'angoisse qu'il allait se passer quelque chose. Il se passe rien, mais on surveille».

Censures. Encore un écran, encore un film. Un pied rageur en gros plan, qui tente de détruire un micro, par terre, signé Adel Abdessemed. .«Qu'est-ce que ça peut vouloir dire?» demande Thibaut. «Que les gens ne parlent plus?» risque un des deux ados. «C'est un peu ça. C'est un artiste algérien, il proteste contre la censure. En Algérie, il ne peut pas parler, en France on ne lui donne pas accès aux médias». Sur le mur d'en face, énorme, en gros plan, un chat mange méthodiquement une souris. Souleïman regarde, détourne la tête, regarde encore. «C'est choquant parce que c'est en gros plan, et en plus, parce que ça s'appelle «Naissance de l'amour». Mais qu'un chat mange une souris,  c'est normal. L'artiste utilise les animaux pour parler de la violence des humains».

Alors, l'expo? Souleïman : «C'est pas de notre âge, c'est bizarre». Enrique : «Trop calme pour nous». Souleïman : «Le chat et le rat, c'était le meilleur». On lui rappelle qu'il a détourné le regard. «C'était dégueulasse, mais j'aimais bien regarder».

H.S.

© Maxime Dufour Photographies

«Passage du temps», 96 oeuvres de la collection de la Fondation François Pinault. Avenue Willy Brandt, métro Gare Lille-Flandres. 6 et 4 euros, ou un crédit loisirs. Gratuit pour les moins de 12 ans, les étudiants en art, les porteurs du pass Lille 3000 (10 euros). Mercredi, jeudi et dimanche de 10 à 19h, les vendredi et samedi jusqu'à 21h. Ouvert les 24, 25, et 31 décembre et le 1er janvier de 10 à 19h. L'expo est prolongée jusqu'au dimanche 6 janvier 2008.

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L'article de Gérard Lefort dans Libé