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«Avant, on se sentait privilégiés»


POLITIQUE - A Douai, rencontre avec des fonctionnaires, au hasard, ou pas. Et toujours la même question : quel

Plein soleil, à Douai, ville de droite entourée de bastions communistes et socialistes. Sur le petit marché de la place Carnot, en centre-ville chic, on cherche le fonctionnaire. Voilà Cécile, 31 ans, institutrice en CM1, en vacances, qui fait la queue devant la camionnette du boucher. En quatre années de présidence Sarkozy, elle ne voit «ni détérioration ni amélioration».

La classe supprimée dans son école, située en zone d’éducation prioritaire, c’était «justifié». «On est passé de moins de 20 élèves par classe à 25, mais j’ai une bonne ambiance.» Le secret : «Pas des profs en plus, mais une équipe soudée». La fin des Rased, les réseaux d’aide aux élèves en difficulté, «ça ne change rien, c’était du saupoudrage». Et pour elle, ça va aussi, «j’ai un salaire correct, la sécurité de l’emploi». Elle compare avec les amis de son âge qui galèrent : «Je n’ai pas à me plaindre.»

Entre les gariguettes et les blettes, le sujet, c’est le nucléaire, pas les fonctionnaires : un couple part en vacances chez sa fille, à Gravelines, pas loin de la centrale. «Vous allez pédaler pour faire de l’électricité ?» rigole la marchande de légumes. L’homme : «Ce qui m’insurge, c’est qu’on va devoir faire un sarcophage à Tchernobyl. L’Allemagne et la Suisse ne donnent rien. Mais nous, par contre, on est riche !»

«On descend». Devant la caisse primaire, Monique, 62 ans, prof «d’habillement» à la retraite, ancienne «petite main pendant vingt ans dans un atelier de confection», trouve que «ça a empiré» depuis Sarkozy. Elle n’avait pas voté pour lui, «je viens d’un milieu ouvrier, on a l’esprit socialiste», mais «travailler plus pour gagner plus, je me disais, oui, c’est pas mal». Et aujourd’hui ? «Je ne sais pas si les gens travaillent plus et gagnent plus !» Elle, elle touche 1 500 euros de retraite depuis 2009, et trouve ça «de plus en plus juste, quand on voit les prix de l’alimentaire et du chauffage». «Avant, on se sentait privilégiés. On descend dans les classes moyennes.» En Segpa, avec des élèves «en échec scolaire», elle se souvient de gamins «livrés à eux-mêmes chez eux, qui se lèvent seuls, ne prennent pas de petit-déjeuner». Et trouve que les classes surchargées, ça ne va «rien arranger» : «Tous ces enfants en difficulté, ils ont besoin d’être pris à part.» Quand elle se demandait ce qu’ils allaient devenir, ils lui répondaient : «C’est pas grave, madame, je serai chômeur.»

Monique vote mais, Nicolas Sarkozy ou pas, elle croit qu’elle n’attend plus grand-chose de la politique. «Regardez la pollution, par exemple. Est-ce que nous, le peuple, on a vraiment quelque chose à dire ? On subit.» Sa première grève, c’était en 68, à 17 ans, jeune ouvrière. «La première chose qu’on faisait, après l’embauche, c’était de prendre sa carte du syndicat. Mais est-ce que les gens se syndiquent maintenant ?»

«Catastrophal». Près du palais de justice, au café l’Equitable, «sans alcool et sans tabac», on boit des smoothies à la fraise en terrasse, et François, 50 ans, prof de philo dans un lycée agricole, «à fond pour Mélenchon»,est prolixe. Le bilan du Président ? «Catastrophal, avec trois F !» Il lève le nez pour réfléchir. «Comme fou, furieux, et… filou.» Il râle sur le blocage des salaires dans la fonction publique. Lui, gagne 2 100 euros par mois, «en progression horizontale». On le lance sur la RGPP. «La quoi ?» La révision générale des politiques publiques, le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux. «Ah, oui.» Il traduit : «RGPP : ruine généralisée de la politique publique. Un pays qui n’investit pas dans l’éducation va à la ruine.» Ce qui l’énerve : les heures sup défiscalisées. «Je suis contre. C’est au détriment des collègues.» Et «travailler plus pour gagner plus», il trouve ça «débile comme slogan». «Travailler moins pour gagner plus, ça c’est révolutionnaire.» Et Sarkozy, «sa femme ira plus loin que lui dans le show-business».

L’entrée de l’hôpital de Douai ressemble à l’aéroport d’Orly, en plus récent. Du verre et du métal, si neuf qu’on a l’impression de se balader dans une image de synthèse, mais derrière la vitrine, un personnel qui «donne beaucoup», dit Hervé Bomon, aide-soignant en réanimation, secrétaire général de la CGT, et une situation sanitaire «catastrophique». Dans une région championne du monde des cancers des voies aéro-digestives supérieures, les gens se soignent peu. «Ils n’ont pas les 18 euros par jour pour payer le forfait hospitalier, ne vont pas voir le médecin. Ils arrivent en bout de course.» Ou ils vont aux urgences parce que c’est gratuit, parce que les généralistes sont débordés, et les spécialistes pas assez nombreux.

Pendant ce temps, Hervé Bomon trouve que le «tout fric à l’hôpital» s’aggrave. «Il faut faire des actes, baisser les durées d’hospitalisation. Renvoyer quelqu’un chez lui au bout de trois jours et le voir revenir, ça augmente l’activité.» Il raconte : «Le petit vieux de 84 ans qui arrive en urgence pour insuffisance respiratoire et à qui on diagnostique un cancer, il y a quelques années, on ne l’aurait pas renvoyé chez lui. On l’aurait gardé, le temps de faire intervenir une assistante sociale, de l’entourer. Mais l’approche sociale, ce n’est pas rémunérateur.» Vous êtes vieux ? «On vous gave, vite fait. Il n’y a pas assez de monde pour couper la viande, alors les derniers patients mangent froid.»

«Sapé le moral». Retour au palais de justice. Gaëlle Olivrot est devenue juge en 2006, un an avant l’arrivée de Sarkozy. A 33 ans, elle est aujourd’hui l’une des deux juges d’application des peines de Douai, membre du Syndicat de la magistrature. Elle trouve qu’en quatre ans, son travail «a perdu de son sens». Deux lois lui ont sapé le moral : celle sur les peines planchers censée lutter contre la récidive, et deux ans après, la loi pénitentiaire qui impose des aménagements de peine pour les condamnés à moins de deux ans, «pas par souci de réinsertion, mais les prisons explosent». «A la maison d’arrêt de Douai, c’est 641 détenus pour 389 places. Ils vont bientôt devoir mettre des matelas par terre.» Elle réclame aux détenus «un projet». Parfois il y en a un : une cure de désintoxication, un hébergement chez Emmaüs. «Mais justement, les subventions de ces associations baissent. Cogner d’un côté, pour dire de l’autre "on aménage", laisser penser que tout le monde peut prétendre à un aménagement de peine sans effort, ça n’a pas de sens.» Son stress, lui, n’a pas baissé : «On a un logiciel qui nous dit qu’on a besoin de greffiers à plus de trois équivalents temps plein. Après le 30 juin, on sera à moins d’un.»

Haydée Sabéran