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«Il était temps d'appliquer les 35 heures chez Martine Aubry!»


TRAVAIL - Ça y est. Dix ans après la loi Aubry, les cadres de la Communauté urbaine de Lille ont enfin droit aux RTT. Oui, mais à condition de travailler 37 heures 30, ont révélé 20 minutes et le Canard Enchaîné. Qu'en pensent les intéressés? Vincent, Françoise, Pauline, Bernard, tous fonctionnaires à la Communauté urbaine de Lille, tous soumis au devoir de réserve, ont accepté de s'exprimer, sous couvert de l'anonymat. Pas tous du même avis, et pas si mécontents. .

Pauline : «Pas le temps de prendre mes RTT». «Je n'ai jamais travaillé 35 heures, je suis plutôt autour de 50, parfois 55, et je n'ai jamais récupéré quoi que ce soit. Dans certains services on pouvait le faire, pas dans le mien. Maintenant tout le monde le pourra, c'est bien de fixer une règle pour tous. Et puis c'était quand même un comble : chez Martine Aubry, on appliquait les 35 heures sans appliquer la loi Aubry! Le problème, c'est que je ne sais pas comment je vais faire pour les prendre, mes RTT. Je n'ai pas le temps. J'ai déjà du mal à prendre mes congés ordinaires. Aujourd'hui la masse salariale augmente, pas le nombre de salariés. On dépouille certains services, et on embauche des contractuels payés cher, -j'ai vu passer des salaires à 8.000 euros par mois-. Des mercenaires à la solde des élus».

Vincent : «Et l'embauche? » «Les cadres qui font des heures sup peuvent enfin les récupérer, c'est une bonne chose, il était temps d'appliquer la loi sur les 35 heures, chez Martine Aubry! Mais ça ne règle pas le problème de fond : l'emploi. Quand les 35 heures version Arthur Notebart ont été mises en place en 1984, ça a créé 250 emplois. Moi, le temps de travail, je préfère le partager. Ici, certains travaillent plus de 50 heures. On embauche sur des projets phares, l'habitat, le développement économique, le Grand stade, au détriment des services plus techniques, les compétences traditionnelles de la communauté urbaine, la voirie, l'assainissement, à qui on demande des efforts. Un départ à la retraite n'est pas à chaque fois remplacé. Alors les heures supplémentaires, ça devient banal. Je vois des cadres, surtout de catégorie A (autour de 4.000 euros en fin de carrière, ndlr), à qui on en demande de plus en plus. On habitue les gens à être joignable sur blackberry, y compris le week-end. Ils reçoivent des mails de la direction générale des services à 22 ou 23 h. Il faut se poser la question de l'embauche».

Bernard : «Un quart d'heure le midi, un quart d'heure le soir». «C'est une avancée sociale, qui a été bien accueillie, sauf par un syndicat, qui voulait plus (la CGT, ndlr). Avant, il n'y avait rien, que des systèmes officieux. Donc aujourd'hui, c'est mieux. Il faut bien voir que 37 heures et demi par semaine, ce n'est qu'une demi heure de plus par jour, c'est à dire, un quart d'heure le midi, et un quart d'heure le soir, pour un cadre qui perçoit une indemnité pour ça. Après, ça aurait pu être mieux. On peut récupérer ses heures au delà de 37h30, et jusqu'à 12 jours. C'est à dire, en pratique, 39 heures. Or, les horaires des cadres sont plus près de 45 heures que de 35».

 Vincent : «Toujours à 35 heures». «J'insiste : les 35 heures ne sont pas remises en cause. Je suis en catégorie B, indice 380, je gagne autour de 2000 euros par mois, primes comprises. Je suis concerné par ce dispositif, mais je dépasse rarement les 35 heures. Personne ne me demande de travailler 37h30».

 Françoise : «On a fait sauter un verrou». «Je ne suis pas cadre, je suis en catégorie C, payée 35 heures. Cette mesure me dérange. Parce qu'on peut considérer qu'ils font 35 heures, payées 37h30, donc qu'ils devraient faire 37h30. Pour l'instant, ce n'est pas dit, mais c'est sous entendu. Il peut y avoir un glissement. Le danger, je le vois là. On a fait sauter un verrou».

Recueilli par H.S.

Décryptage
Comment en est-on arrivé là? Accroche-toi, ô lecteur, car ce qui suit est un chouïa technique. Tout commence en 1984. Les salariés de la Communauté urbaine de Lille passent aux 35 heures. C'est l'époque de l'ombrageux Arthur Notebart président de la métropole jusqu'en 1989. Jours de congé compris, les 35 heures version Notebart, ça va chercher dans les 1533 heures travaillées par an.

Inflexible. Les 35 heures, les vraies, celles d'Aubry, arrivent en 2000. Et celles-là pèsent 1600 heures de travail par an dans la fonction publique. 1607 heures, journée Raffarin comprise. Sous l'ère Pierre Mauroy, on ne bouge pas des 1533 heures par an, mais ceux qui travaillent trop gagnent une prime forfaitaire équivalente à 2h30 par semaine. Il s'agit des cadres de catégorie A, et les B à partir de l'indice 380, donc les salaires les plus élevés. En gros, les 2000 euros et plus. Ils touchent la prime dans tous les cas, qu'ils travaillent 35, 36, ou 55 heures. Au passage, pas de récup des heures sup. Mauroy reste inflexible : c'est la prime, et rien d'autre. Sauf ...dans certains services, car chaque chef agit à sa guise. Et dans les rangs des lésés, on râle. Certains cadres votent avec leurs pieds, attirés par d'autres collectivités, comme la Région, dont le régime est plus favorable : heures récupérées et indemnisées. Les syndicats, la CGC notamment, réclament le droit aux récups.

Epargne temps. Aujourd'hui, après deux ans et demi de règne de Martine Aubry, voilà les récups. Mais on n'a le droit de les prendre qu'après avoir travaillé 37h30, et jamais au-delà de 12 jours récupérés. Il y en a qui y perdent au change : ceux qui travaillaient dans un service qui récupéraient déjà, et dès la 35ème heure. Pour la plupart, qui ne récupéraient rien, c'est un progrès concret : jusqu'à 12 jours de congé. Reste à savoir s'ils arriveront à les prendre. «C'est toute la question, explique un ancien cadre de Lille Métropole. A l'année, ça va être compliqué. Il y a la solution des comptes épargne temps, pour ceux qui ont un projet personnel, comme un voyage, ou ceux qui veulent partir à la retraite plus tôt». Et le symbole des 35 heures? Même si rien ne change en termes de temps travaillé, on les grignote de fait, pense la CGT, qui est contre. Un ancien cadre de Lille Métropole reconnaît : «Sur ce plan-là, on revient sur un acquis social».

 Haydée Sabéran