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«Le raffinage, on sait bien que ce n’est pas l’avenir»


REPORTAGE - A 14 heures, lundi, les ouvriers de la raffinerie Total de Dunkerque ont suspendu leur grève, qu’ils menaient depuis janvier. Leur usine redémarre, sur injonction de la cour d’appel de Douai. Sinon, c’est 100 000 euros d’astreinte par jour, à payer par Total. Le groupe pétrolier a été condamné pour n’avoir pas informé et consulté dans les règles les représentants du personnel sur la fermeture initiale de la raffinerie des Flandres. Une vraie déconfiture.

«Au piquet de grève, quand le délégué syndical est venu nous annoncer que le juge avait ordonné le redémarrage de l’usine, on lui a dit : "Arrête, trouve autre chose que ta blague de mauvais goût"», se souvient Jean-Pierre, vingt-sept ans de maison, agent de prévention. «Il a fallu plusieurs confirmations pour qu’on y croie.» Total s’est pourvu en cassation et a aussi déposé un recours devant le tribunal de Nanterre.

«Leurre». Lundi matin, c’était AG, celle de la reprise du boulot. «Ne baissez pas la garde», prévient Marcel Croquefer, responsable CGT du pôle chimie du littoral dunkerquois. Un pneu brûle, fumée noire, devant la cabane «interdite aux non-grévistes». Un «barbecue du redémarrage» a été prévu, annonce une affichette. Merguez, steaks hachés et oignons frits. Mais l’enthousiasme n’y est pas. «C’est symbolique, c’est tout, parce que dans le fond on sait bien que c’est impossible techniquement de redémarrer le raffinage», soupire Mohammed. A côté de lui, un collègue refuse de parler, gorge nouée, «trop déçu», lâche-t-il. Les deux craignent un «leurre» de la part de Total. Car, avant de raffiner à nouveau le pétrole dans cette usine classée Seveso, il faut dégazer les installations, c’est-à-dire les nettoyer, avant de les inspecter et réparer ce qui s’est abîmé en dix mois d’inertie. Au mieux, la production ne pourrait reprendre que la première quinzaine de septembre. Pour mieux s’arrêter.

Toute raffinerie doit respecter un grand arrêt de maintenance, tous les six ans, pour voir prolonger son autorisation d’exploitation : le délai expirera le 23 octobre pour Dunkerque. D’ici là, il n’y a aucune chance pour que Total lance cette grande opération de nettoyage en profondeur. «Alors même si on redémarre, la direction régionale du ministère de l’Environnement imposera l’arrêt de la raffinerie», confirme Grégory, qui n’a plus «aucun espoir». Tous ne sont pas aussi inquiets : Hervé, inspecteur des installations, est «très content de la décision de justice, même s’il faut rester prudent». Jean-Pierre confirme : «Ça ne résout pas notre avenir proche, mais c’est une belle revanche.» Ce qu’il souhaite ? «Le raffinage, on sait bien que ce n’est pas l’avenir. Il faudrait reprendre un an et demi, le temps de trouver des solutions industrielles de reconversion du site, mais pas celle du centre de formation et d’assistance technique qu’ils nous proposent aujourd’hui.»

«Couperet». A Dunkerque, la production est stoppée depuis le 12 septembre. A l’époque, la direction évoquait une solution temporaire : trop de stocks et un prix du marché trop bas. Le temporaire est devenu définitif au fil du temps. «Ils nous ont dit "arrêt conjoncturel", puis "arrêt structurel". Ils nous ont endormis», bougonne un salarié derrière sa moustache. La fermeture du site est envisagée lors d’un comité central d’entreprise fin décembre. «Paf, le couperet est tombé. Là, on s’est réveillé», raconte-t-il. Le 12 janvier, la grève commence. Elle s’étend en février, pour une petite semaine, au reste des raffineries du groupe. Les gars de Dunkerque croient au miracle, mais le mouvement cesse, sur décision de la CGT. La raffinerie des Flandres est la seule à tenir son piquet.

Le 8 mars, la direction générale confirme la fermeture définitive du site. Le combat syndical se déporte alors sur le terrain juridique. Avec le succès que l’on sait. Ce que n’avale pas Total. Le porte-parole du groupe insiste : «Les opérations de dégazage sont des préalables obligatoires soit au redémarrage du raffinage comme le demande la cour d’appel de Douai, soit à la reconversion du site, qui est l’objectif de Total.» Jean-Pierre en est conscient : «On entre, on dégaze, c’est tout bénéfice pour eux. C’est pour cela qu’on veut un ultimatum, sinon c’est trop facile.»

Les salariés ont décidé de demander à la direction un planning précis des opérations. Et la CGT veut imposer un délai de réponse de soixante-douze heures, maxi. «Pour l’instant, dans les documents que l’on a, il n’y a aucune référence au redémarrage du raffinage. On n’évoque que des remises en l’état», poursuit Jean-Pierre. De fait, le porte-parole de Total refuse de donner une date précise. «Le travail reprend à peine», justifie-t-il. Cela ne surprendra pas Grégory, qui ne regrette pas sa grève : «Il ne fallait pas se laisser faire. Même si le résultat va être le même, on s’est battu.»