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Dominique C., une mère qui ne voulait plus d'enfants


REPORTAGE- Réactualisé à 11h40 - Huit cadavres de nourrissons retrouvés, et la thèse du déni de grossesse balayée. Dominique C., 46 ans, aide-soignante, mise en examen hier pour homicides volontaires sur mineurs de moins de 15 ans, a affirmé qu’«elle se rendait parfaitement compte de ses grossesses», selon le procureur de la République de Douai, Eric Vaillant. «Elle a expliqué qu’elle ne voulait plus d’enfants, et qu’elle ne voulait pas voir de médecin pour avoir un moyen de contraception.» Me Frank Berton, l’avocat de Dominique C., a estimé que le procureur allait «un peu vite» en écartant cette piste

L'avocat lillois a décrit une femme «assez éprouvée, fatiguée, et abattue», qui se trouve dans un «état de confusion assez important». Il voit également sa cliente libérée d'un lourd secret vieux de 20 ans. «Elle n'a plus à porter ça sur sa conscience et c'est aussi une sorte de soulagement».

Dominique C. est la mère de deux filles adultes, et deux fois grand-mère. Dominique aurait gardé un mauvais souvenir de son premier accouchement, qui se serait mal passé, à cause de sa forte corpulence.

Une source judiciaire glisse : «Elle souffre sans doute d’une autre pathologie, car elle n’a pas voulu se séparer de ses nouveau-nés» (lire page ci-contre). Six corps, hermétiquement enveloppés, ont été retrouvés dans le garage de sa maison, à Villers-au-Tertre, village de 619 habitants, près de Douai. Ils étaient dissimulés sous une couverture et différents objets, pour les soustraire à la vue. 

L’affaire a commencé samedi, dans la ferme des parents de Dominique C., vendue en 2007 après le décès du père. Les nouveaux occupants, un couple avec trois enfants, ont voulu aménager leur jardin. Ils creusent pour planter un arbre et découvrent deux sacs plastique avec des ossements. Et appellent immédiatement la gendarmerie. En voyant se déployer les fourgons bleus, les villageois se demandent ce qui se passe, et prennent l’événement à la légère : «On s’est dit : tiens, encore un citadin qui a retrouvé des os. Dans le temps, les animaux étaient abattus dans les corps de ferme, et les restes virés dans le jardin», explique un habitant. 

Le médecin légiste est formel, dès le premier coup d’œil : il s’agit de squelettes de nourrissons. Le couple auteur de la macabre découverte est rapidement mis hors de cause, l’enquête se concentre sur les proches de l’ancien propriétaire. Dominique C., la seule fille restée au village, est entendue à titre de témoin le mardi matin. «Elle a rapidement reconnu être la mère des deux nouveau-nés», indique le procureur. «Elle a ensuite indiqué que d’autres cadavres se trouvaient à son domicile.» Une maison en briques rouges, avec deux beaux géraniums à l’entrée, qu’elle louait avec son mari depuis 1991. Avant son mariage, elle habitait chez ses parents, explique le maire, Patrick Mercier. 

Les gendarmes y trouvent quatre nouveaux sacs, contenant les restes de six bébés. Après autopsie, «les corps des enfants ne présentaient aucune trace de coup», précise Eric Vaillant. Elle les aurait volontairement étouffés juste à leur naissance, affirme-t-elle. Les accouchements se seraient échelonnés entre 1989 et 2006, 2007, les dates restant encore imprécises en attendant les analyses complémentaires. 

Il faut maintenant que les enquêteurs vérifient toutes les déclarations de Dominique C., qui sont pour l’instant la seule base de la procédure. Les ADN prélevés, par exemple, serviront à déterminer les réels parents de ces nourrissons. Elle a disculpé son mari, affirmant qu’il n’était au courant de rien. «Sa réaction ? Le ciel lui tombe sur la tête», explique le procureur. Il n’a pas été mis en examen, ce que demandait le parquet : le juge d’instruction a décidé sa remise en liberté. 

Bowling. «On se demande ce qu’on a loupé. C’étaient des gens qui avaient une vie normale», dit une villageoise. Lui, surtout, était connu pour sa serviabilité : conseiller municipal pour la troisième fois, il s’occupait du comité des fêtes, organisait des sorties au bowling pour les jeunes. Villers-au-Tertre, si tranquille, si champêtre, ne comprenait pas hier comment une enfant du village, «quelqu’un qu’on connaît depuis toujours», puisse être soupçonnée d’avoir tué huit nouveau-nés. Un voisin précise : «Ses grossesses, ça ne pouvait pas se voir, car elle était très ronde.» «Ça reste au travers de la gorge, soupire le patron du café du village. J’étais à l’école avec elle. Ils se sont rencontrés ici, dans mon établissement, comme tant d’autres.»

A Villers, ils sont nombreux à s’inquiéter des condamnations hâtives, comme cette habitante : «On ne va pas juger les gens quand on ne connaît pas tous les tenants et les aboutissants.» En face de la ferme familiale, un proche ne cache pas son désarroi, ni ses larmes, qu’il essuie avec un grand mouchoir en tissu tiré de sa poche. «Toujours se taire, ne jamais en parler. Elle a vécu un abandon moral, c’est un problème de société, c’est qu’il y a quelque chose qui ne marche pas.» Sa femme : «Je pense à elle, il y a forcément énormément de souffrance, c’est inimaginable. Si on ne veut pas d’enfant aujourd’hui, il y a des moyens. Ça peut arriver une fois, on se dit : c’est un accident. Mais huit, non, ce n’est pas un accident.»

Stéphanie Maurice

(article paru dans Libération de vendredi) 

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