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Prisons : «les détenus ont peur de saisir la justice»


SOCIÉTÉ - L'Etat et l'Administration pénitentiaire condamnés hier à indemniser 38 détenus de la maison d'arrêt de Rouen. Motif : incarcérés dans des conditions indignes. Ils vivaient jusqu'à trois dans 10 m2, avec les toilettes dans la cellule, sans cloison. Et dans la région, c'est comment? Pareil, voire pire. Anne Chereul, de l'Observatoire international des prisons à Lille, explique.

Des détenus indemnisés pour conditions de détentions indignes comme à Rouen, est-ce que ça pourrait arriver dans le Nord Pas-de-Calais?
Oui. Parce que la situation est similaire, voire plus grave dans certaines maisons d'arrêt. Comme à Rouen à l'époque, il n'est pas rare qu'il y ait deux ou trois personnes dans un espace prévu pour un. Le Comité européen pour la prévention de la torture prévoit qu'en dessous de 7 m2 par personne, c'est un traitement inhumain ou dégradant. Or, trois personnes dans 9 m2, ça existe ici. On estime que 70% des détenus en France vivent dans un établissement qui présente des conditions indignes. Dans le Nord Pas-de-Calais, c'est à peu près ces chiffres. En mai, la maison d'arrêt de Béthune était occupée à 205%, soit 370 détenus pour 180 places. Dans les maisons d'arrêt de Loos, Longuenesse, Valenciennes, il faut parfois mettre des matelas par terre. Vous imaginez, ça veut dire qu'il y a toujours une personne sur son lit, on ne peut pas être tous debout en même temps. Il y a aussi l'aspect sanitaire : quand les toilettes ne sont pas séparées de la partie de la cellule ou les gens mangent ou dorment il y a risque de transmissions de germes.

Sans compter l'intimité.
Oui, des toilettes sans cloisons dans la cellule, ça veut dire faire ses besoins devant les autres.

Est-ce que vous envisagez de saisir la justice à votre tour?
Pour l'instant, beaucoup de détenus qui nous sollicitent, pourtant en grande souffrance, ont peur d'engager une procédure.

Peur de quoi?
D'être transférés et de se retrouver loin de leurs proches. Pour beaucoup, c'est ce lien avec la famille qui permet de tenir. Et puis, une fois sortis, ils préfèrent oublier. Malgré le nombre de personnes informées du fait qu'ils avaient des chances de voir aboutir leur démarche, aucune, ici, n'est allée jusque là.

Mais le jugement de Rouen peut les faire changer d'avis.
On s'y emploie. Pas seulement pour eux, mais pour tous les autres. On a fait connaître ces différentes décisions (1) auprès des avocats. Le phénomène fait tache d'huile. L'OIP soutient des procédures en cours à Nantes, Marseille, Lyon, dans la région parisienne. Encore rien dans le Nord, mais certains détenus sont très déterminés et nous espérons que certaines démarches aboutiront bientôt.

Michèle Alliot-Marie, garde des Sceaux, a annoncé qu'elle ferait appel.
Les pouvoirs publics sont dans le déni. Un déni de la gravité de la situation, un refus de prendre leurs responsabilités. Ce matin sur France Inter, la ministre a mégoté sur les montants d'indemnisations. Ils sont pourtant modestes au regard de l'atteinte à la dignité [entre 850 et 18.000 euros par personne, ndlr]. Les décisions des tribunaux français convergent avec les recommandations du Conseil de l'Europe. Ce n'est pas «un peu», «beaucoup», ou «moyen» indigne, c'est indigne, point.

Recueilli par Haydée Sabéran

MAM fait appel - Le tribunal administratif de Rouen, qui a condamné en référé l'Etat «n'a pas tenu compte des efforts faits», a estimé ce matin Michèle Alliot-Marie sur France Inter. Elle a assuré que des travaux de rénovation «extrêmement importants» (quartier des mineurs, cuisines ...) avaient été réalisés dans cet établissement. Elle a ajouté que, comme d'autres prisons trop vétustes, celle de Rouen va être fermée et reconstruite «parce que nous n'arrivons pas à remplir totalement les exigences de la loi pénitentiaire votée à l'autommne 2009 et les exigences de l'Europe». Le ministère avait annoncé lundi sa décision de faire appel de cette décision devant la Cour administrative de Douai. Le tribunal administratif de Rouen a accordé des indemnités allant de 350 à 17.500 euros à ces détenus ou anciens détenus de la maison d'arrêt de Rouen. Ouverte en 1864, la maison d'arrêt de Rouen compte 650 places et a accueilli ces dernières années jusqu'à 850 détenus, en détention provisoire ou condamnés à de courtes peines. Le ministère a programmé sa fermeture et recherche un terrain pour construire un nouvel établissement. (AFP)

(1) Depuis 2008, les tribunaux administratifs de Rouen, Nantes et Caen ont  accordé des indemnités à plusieurs détenus qui avaient fait des requêtes comparables. La dernière décision en date concernait fin mai six détenus de la maison d'arrêt de Caen. (AFP)