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L’Interlude en portées par la scène


THÉÂTRE - Lui s’appelle Bruno Soulier. Elle, Eva Vallejo. Il est musicien, elle, actrice. Ils se sont croisés il y a quinze ans pour créer, à Lille, la compagnie de l’Interlude, théâtre oratorio. Ils disent admirer Fellini, Ferré, le metteur en scène polonais Tadeusz Kantor et la chorégraphe allemande Pina Bausch. Pour le reste, on n’en saura pas beaucoup plus. Même l’insignifiant d’une fiche d’état civil. Leur âge ? «Je ne veux pas en entendre parler», répond Eva, avec sa voix à la fois grave et douce.

On comprend vite que c’est peine perdue d’insister. Que le duo a fait le choix de mettre sa vie à l’abri. On arrachera juste qu’elle est fille de résistant espagnol, débarquée en France à l’âge de 8 ans, elle découvre le théâtre en classe de cinquième et décide d’entrer au conservatoire de Roubaix, contre l’avis de ses parents, après avoir plaqué son emploi d’assistante de direction. Lui, né dans le Nord, passe par l’Ircam après des études de piano classique et se consacre à la composition, influencé par la musique répétitive, David Bowie et Clash. «J’étais parti pour n’être que musicien», dit-il. Jusqu’à leur rencontre.

Virulence. Depuis, ils élaborent ensemble une forme unique de spectacle. Quelque chose entre concert et pièce de théâtre. Où musique et texte ne font qu’un. Où les acteurs parlent face au public. Sans dialogue ou presque. L’un après l’autre, rarement ensemble. Les yeux dans les yeux avec le spectateur. Ce n’est jamais chanté, et évidemment pas déclamé. «Comme si on prenait les apartés d’un chanteur pendant son concert, et qu’on y insufflait du théâtre», dit Bruno Soulier. Aujourd’hui, ils font tourner leur dernière création, Dehors peste le chiffre noir (lire page suivante), opportune évocation du surendettement par temps de digestion de crise des subprimes. Les deux pensent avoir trouvé un «premier aboutissement» en 2005, en montant un texte de Rodrigo Garcia, Jardinage humain.

Sur scène, un piano, une batterie, un violon et deux micros. Deux acteurs (Eva Vallejo et Pascal Martin-Granel) viennent, à tour de rôle, cracher leur rage d’un monde puéril et dérisoire. Ça claque, comme des gifles. Ça parle du football, des chiens, et d’une pitoyable société de consommation. Avec la virulence du tract et la dérision d’une farce. Une petite merveille de mécanique, à la fois millimétrée et débordée par l’énergie rock qu’elle produit. Ici, la forme s’impose d’elle-même. Pas pour ce qu’elle est, mais pour la radicalité qu’elle porte. «Pour le besoin vital de s’adresser à celui qui est en face», dit Eva Vallejo. Ce spectacle tourne encore aujourd’hui, avec le même succès dans toute la France. Sauf à Paris. «C’est le problème quand vous êtes dans l’entre-deux. Le milieu parisien du théâtre vous dit que c’est trop musical et, celui de la musique, que c’est trop théâtral», explique-t-elle. Eux rêvent encore de pouvoir monter leur Jardinage humain dans une vraie salle de concert parisienne.

En 2007, c’est dans un théâtre de la capitale, celui du Rond-Point, qu’ils présentent la Mastication des morts (texte de Patrick Kermann). Nouvelle réussite, drôle et glaçante, où les morts d’un village français sortent de leur tombe pour se raconter. Et déballer, au micro, leur ennui, leurs secrets et autres mesquineries enfouies.

Choralité. Les deux compères ne s’interdisent aucun texte a priori : littérature, essais, théâtre… tout est possible. «On a la chance de pouvoir se passer du dialogue.» Bruno écoute d’abord la musicalité du texte. « Je travaille à l’instinct. Je me mets au piano et j’improvise.» Ensuite, Eva y colle le texte, à voix haute sur la musique. «Et là, on sait tout de suite si ça marche ou pas.» Souvent, cela ne fonctionne pas. Comme sur ce récit d’un reporter de guerre ramené d’Irak. Ou ce projet d’adaptation de Médée de Sénèque. «C’était trop évident, trop beau. Tout allait dans le même sens : la musique et le texte», explique Eva. Il faut que ça joue, que ça frotte.

Pour Dehors peste le chiffre noir, ils s’enthousiasment pour la choralité du texte, écrit par Kathrin Röggla, une auteure contemporaine autrichienne. «On ne s’est pas mis en situation de vouloir parler à tout prix de la crise économique. C’est d’abord l’écriture qui nous inspire.»

Sur le plateau, musiciens et acteurs répètent ensemble, à l’unisson. On se demande alors si l’acteur, coincé entre texte et musique, a encore un peu d’espace pour respirer. «Très vite, une fois qu’il a mémorisé la musique, l’acteur voit bien toute la liberté que cela peut lui apporter, répond Eva. La grande jouissance est justement de pouvoir détourner tous nos interdits.» Prochaine étape : l’adaptation, en 2011, de l’opéra jazz Quichotte de Jean-Luc Lagarce.

Grégoire Biseau