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A Calais, le préfet soigne la gale, en vain


SOCIETE - Une semaine antigale en plus pour les migrants à Calais. Face à l’ampleur de l’épidémie, la préfecture du Pas-de-Calais a décidé de prolonger son action jusqu’à nouvel ordre. Depuis le 11 août, elle a organisé des soins d’urgence pour les candidats au passage clandestin en Angleterre, principalement des Afghans qui fuient la guerre. Une première depuis la fermeture de Sangatte, en 2002.

Devant la tente de décontamination du Samu 62, ils attendent leur tour, par petits groupes, pour prendre leur douche. Se laver enfin. Dans «la jungle», le petit bois où s’entassent 400 personnes dans des cabanes de fortune, il n’y a qu’un seul point d’eau. Quand ils sortent, cheveux propres, ruisselants, un médecin volontaire les examine. Ils se grattent ? Ils avalent immédiatement quatre gélules, ont droit à des vêtements propres. Des bénévoles de la protection civile essayent de trouver les bonnes tailles. Un jeune Afghan repart en short, pas très ravi de cet accoutrement peu habituel pour lui. Les affaires qu’ils portaient sont enfouies dans un sac-poubelle, imprégnées de désinfectant. «Dis-leur de ne pas ouvrir le sac pendant douze heures», lance à l’interprète le Dr Benjamin Kowalski, interne au centre hospitalier de Calais. Il donne également une bombe antiparasitaire pour traiter les sacs de couchage. Le mode d’emploi est minutieusement expliqué en langue pachtoune.

«Jungle». «On leur dit d’asperger le linge, les draps, d’attendre quatre heures. Ensuite, ils peuvent à nouveau dormir dedans», explique-t-il. Mais des bénévoles de la protection civile se désolent : «La bombe ? Ils sortent d’ici et s’appliquent le produit sur la peau, parce que cela gratte…» Un autre intervenant enchérit : «Ce qui est dommage, c’est que nous ne faisons pas un travail de fond.» Un médecin de garde confirme : «Ce qu’il faudrait, c’est les prendre tous et traiter leur habitat, ce qui veut dire aller dans la jungle.»

La gale est très contagieuse, et ne traiter qu’un seul habitant d’une des cabanes implique un risque de réinfection immédiat. Pour l’instant, seuls ceux qui arrivent jusqu’à la tente du Samu sont soignés. Tous ne viennent pas. «Ils ont peur de se faire attraper par la police sur le chemin», explique l’interprète. Patrick Baussart, le président de la protection civile du Pas-de-Calais, note : «Ils ont toujours peur d’être comptabilisés, car ils craignent comme en Angleterre l’organisation de charters qui les ramènent vers leur pays d’origine.»

Médecins du monde et Médecins sans frontières ont le même diagnostic sur les limites de cette opération antigale. Les deux ONG ont lancé une alerte commune. Elles avaient programmé, avec d’autres associations humanitaires, une action de traitement contre la gale, et se sont fait couper l’herbe sous le pied par l’Etat. Mathieu Quinette, de Médecins du monde, peste : «L’Etat prend le rôle du pompier pyromane. Il allume le feu et arrive ensuite pour l’éteindre. Il laisse les gens vivre dans des conditions déplorables, puis il arrive en sauveur, juste au moment où d’autres allaient agir.» Il pointe l’absence de traitement pour les migrants sans symptômes. «L’incubation dure jusqu’à trois semaines, et on est contagieux pendant cette période. Ce qui veut dire qu’il faut traiter tout le monde. Mais, surtout, le traitement médical seul n’a pas de sens. Si on n’améliore pas les conditions sanitaires des migrants, l’épidémie de gale ressurgira.»

Jean-François Corty, coordinateur mission France de Médecins du monde, n’arrive pas à oublier l’enquête sanitaire faite en juillet, pour avoir une idée de l’état des réfugiés. «Les médecins ont vu des cas de surinfection cutanée qu’ils ne voient même plus en Afghanistan ou en Erythrée. Cela a particulièrement choqué nos équipes.»

Céline Dallery, infirmière à la permanence d’accès aux soins de santé (Pass), vient en voisine. Avant l’opération préfectorale, elle était submergée par les cas de gale ; désormais, la Pass, qui soigne toute l’année les migrants, retrouve le temps de s’occuper des pathologies plus lourdes. «Mais ce qui m’inquiète, c’est l’après, quand tout cela va s’arrêter. Quand il n’y aura plus de douches.» Un médecin du Samu lui lance en boutade : «On en ouvre 80 !»

«Déchets». Car l’enjeu est là. Le Secours catholique a fermé en décembre les quatre douches qu’il mettait à la disposition des migrants. Trop de monde, l’association ne s’en sortait pas. La préfecture les a réquisitionnées et rouvertes jusqu’à nouvel ordre. Chaque jour, 65 personnes s’y présentent, et l’afflux ne tarit pas. 1 200 migrants sont présents dans le Calaisis, dont environ 600 à Calais même. Chiffres sur lesquels s’entendent associations et préfecture. A la tente de décontamination, il y en a également 65 personnes vues dans le cadre du traitement antigale, parmi elles, de 16 à 20 ont des symptômes et se grattent. «Mais nous ne maintiendrons pas le dispositif pendant six mois», signifie-t-on à la préfecture.

«Quatre douches, c’est insignifiant, pose Mathieu Quinette. Ce n’était pas assez il y a huit mois, ce n’est toujours pas assez aujourd’hui. Il faut multiplier le nombre de douches, augmenter les points d’accès à l’eau, il faut améliorer la gestion des déchets et des excréments.» Il soupire : «Ces réponses auraient dû être apportées depuis longtemps.»

Stéphanie Maurice