Comparateur de rachat de crédit

Valentin : les proches de Stéphane M. et Noëlla H. racontent la dérive


SOCIETE - Une petite ville le long de l’Oise. Des enfants plongent dans la rivière, un homme pêche. Dans un lotissement calme, les volets d’une maison sont tirés. On croirait les habitants en vacances. Mais une vieille chienne remue la queue, une petite dame arrive. Elle a l’air épuisée. «Je dors peu, je n’ai plus d’appétit», dit-elle. Il y a dix jours, Chantal P. a appris que son fils, Stéphane, 39 ans, était soupçonné du meurtre de Valentin, le 28 juillet à Lagnieu (Ain). Un enfant de 11 ans, tué de dizaines de coups de couteau. «Le déluge qui tombe sur la tête.»...

«Chouchou». Depuis, son fils a été mis en examen pour assassinat, sa compagne Noëlla, 48 ans, pour non-empêchement de crime. «Je titube, dit-elle, j’ai des sueurs.» Enfant, dit-elle, il était «gentil, rieur, généreux et sensible». La mort de son père, emporté en moins d’un an en 1987, l’a «beaucoup secoué». Il avait 18 ans, son père 57. Ce dernier «avait des mains d’or, raconte la mère. Il lui avait construit un petit saloon avec des éclairages. Je l’ai toujours au garage.» Stéphane M. a trois grandes sœurs. «Petit, il était toujours après moi, continue la mère. Ses sœurs disaient que c’était le chouchou.» Lorsque le père est mort, Stéphane sortait d’un stage en pâtisserie. Puis a rencontré Noëlla, qui avait aussi perdu son père jeune, brutalement.

Noëlla H. a grandi à Clary, un village près de Cambrai, dans le Nord. Une maison aux briques rouges et blanches, près des pâtures. De passage pour les vacances, une sœur aînée raconte une petite sœur qui n’avait «jamais de problème». Qui a «obtenu un diplôme de comptabilité», travaillé «dans une banque à Caudry», près de Cambrai. Et fait «un bon mariage». Tout se serait «enclenché» après le divorce. Noëlla a rencontré Stéphane. «Ce fut  une vie de galère, de mendicité, poursuit l’aînée. Ils vivaient avec le RMI. De temps en temps ils faisaient les vendanges. Avant ça, elle n’avait jamais manqué de rien.»

La mère de Stéphane se souvient de cette rencontre entre son fils et Noëlla. «Elle avait neuf ans de plus que lui. Gentille, douce, un beau physique, elle ne faisait pas son âge. Il m’a expliqué qu’elle allait l’emmener.» Il est parti s’installer dans la famille de sa compagne, mais cela s’est mal déroulé. «La mère de Noëlla m’a appelé. Stéphane disait qu’il était entouré de soldats. Ça se passait mal avec le frère de Noëlla. Il cherchait les embêtements. C’est là-bas que ça s’est déclenché.» Ça ? «Leur délire. Ils se croyaient persécutés.»

La sœur de Noëlla H. se souvient de ce séjour. Stéphane, dit-elle, était «plus que croyant, illuminé». Noëlla beaucoup moins, précise-t-elle. «Quand il dérapait, elle savait le remettre à sa place. Elle ne se laissait pas faire. Si elle n’était pas d’accord, elle lui disait.» Comment dérapait-il ? «L’hiver où ils étaient à la maison, il a été violent envers mon frère, devant ma mère. Il l’a frappé avec des nunchakus. Mon frère a eu des côtes fêlées, et un problème à la mâchoire, il a dû aller à l’hôpital.» La mère a porté plainte. Le couple a quitté la maison de Clary. L’aînée n’a revu sa sœur qu’un hiver, il y a quatre ans.

Avis de recherche. Le couple est parti sur les routes. «Ce ne sont pas des SDF, insiste la mère de Stéphane M. Ce sont des routards. Ils ne mendiaient pas. Ils dormaient chez des prêtres.» Elle était «admirative» de leur relation fusionnelle. «Il n’y avait pas de disputes, rien. Il était dépendant de Noëlla. Il demandait toujours son approbation dès qu’il faisait quelque chose. Elle, c’était pareil. Ça m’a rassuré. Je me suis dit que s’ils avaient des problèmes, ça assurait leur sécurité.» Elle n’a plus eu de nouvelles pendant un moment et montre une coupure de journal, avec cet avis de recherche : «Stéphane M., 20 ans, est passé par Chalamont (Ain), puis le Jura en septembre et octobre 1988. Sans nouvelles depuis fin août 1988. Probablement en mauvais état de santé. Recevons tous renseignements.» Les enquêteurs collectent les traces des voyages du couple, qui a sillonné la France. Ils ont appris qu’un maire avait été frappé par Stéphane, il y a deux ans, dans le Périgord. Le procureur leur a délivré une commission rogatoire pour vérifier si le couple n’a pas semé d’autres meurtres sur sa route.

Purification. La mère de Stéphane M. décrit ainsi les dérives schizophréniques de son fils. «On peut le croiser, il parle normalement, jusqu’à ce qu’à un moment, ça déraille.» En 1992, ils sont revenus vivre chez elle quelques mois. «Ils ne sortaient pas de la chambre de la journée, raconte-t-elle. Il y avait des bougies. Ils faisaient des prières. Ils ne mangeaient pas avec nous. Il fallait qu’ils fassent un cérémonial de purification de la nourriture. Mais je ne l’ai jamais vu faire. On ne pouvait ni les embrasser, ni les toucher, ni les photographier. Si je frôlais Stéphane, il se reculait. S’ils sortaient pour faire une course, ils emmenaient toutes leurs affaires. Quand on parlait avec Stéphane, il chuchotait et disait qu’on était espionnés.» Ont-ils eu un enfant, comme le couple l’a indiqué confusément aux enquêteurs ? «Je ne veux pas en parler», élude la mère. La sœur de Noëlla confirme. Elle parle d’un «très mauvais accouchement». Elle croit savoir que Stéphane a demandé que l’enfant soit adopté. «Comme ma sœur était dépressive, c’est lui qui a fait les formalités, il a signé.»

En 2003, la mère de Stéphane M. a revu le couple, une après-midi. «Ils étaient en bicyclette. On aurait dit un couple de touristes avec leurs beaux vélos. Je l’ai trouvé mieux. On a passé l’après-midi tous les trois. Ça déraillait encore, mais c’était convivial. On pouvait les toucher, les embrasser. J’avais pris mon appareil, j’ai pu les photographier.» Elle a fait développer récemment une vingtaine de pellicules, sans retrouver celle de ce jour-là. Elle se lève, sort des photos d’enfance. «C’était un beau garçon, hein ?» Elle montre aussi cette carte de Noël musicale, reçue fin 2004. Il n’écrivait jamais. «Je n’aurais jamais pensé que ça aurait pu dégénérer comme ça. Il est irresponsable à 200 %. J’espère qu’on va le soigner.»

Un collège d’experts doit se prononcer prochainement sur la santé mentale du couple.
  OLIVIER BERTRAND (à Lyon), GAEL COGNÉ (dans l’Oise) et HAYDÉE SABÉRAN (A Clary, dans le Nord)