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Hautmont, survivre à l'apocalypse


SOCIÉTÉ - «Qu’est-ce que je lui écris, dans le texto ?» Martine Franciamore, voix lassée, dicte à sa fille : «Dis-lui que nous, on n’a rien, mais qu’il n’y a plus de maison.» La mère est assise sur un bord de balustrade, à demi-abattue, et désigne les quelques marches devant elle. «C’est là où commençait mon salon.» Il ne reste plus qu’une dalle carrelée. Martine et Rosario Franciamore étaient en vacances chez leurs enfants, à Bordeaux, dimanche soir quand la tornade a tué trois personnes et détruit des centaines de logements à Hautmont. Ils fêtaient l’anniversaire de Martine. «C’est ce qui nous a sauvés», murmure-t-elle. Le pavillon est décapité, l’étage, où étaient les chambres, a disparu.

«On a retrouvé mon lit dans une autre maison», dit-elle en essayant de rire. On l’imagine en temps normal gaie et volubile. Là, elle a les larmes aux yeux en permanence. «Ce sont les voisins qui nous ont appelé en pleine nuit pour nous prévenir. Je me suis dit, il y a peut-être le toit arraché, j’espère qu’ils vont penser à mettre une bâche sur le toit, le temps qu’on fasse la route.»

Ruines. Son mari a voulu prendre la route immédiatement, elle a refusé, à cause de la fête, des quelques verres bus. Alors ils ont appelé des amis, pour qu’ils récupèrent le chat, Marquise, les perroquets, les cochons d’Inde. Martine est éleveuse de chiens. Son mari travaille dans la verrerie. «Les amis nous ont téléphoné pour nous dire qu’il n’y avait plus de maison. Mais je ne m’attendais pas à cela.» Martine secoue la tête. Sa copine lui dit gentiment : «Pourtant on a essayé de te dire, au deuxième ou au troisième coup de téléphone, que c’était l’apocalypse.» Sur la route, le lundi matin, ils écoutaient les informations. «J’ai appris qu’il y avait des morts, je pleurais. Mais je n’imaginais pas encore, j’avais encore l’espoir de trouver quelque chose. C’est pour vous dire, je suis descendue avec mes filles, en me disant qu’elles m’aideraient à tout ranger.» Dans un sourire douloureux, elle se moque d’elle-même : «Dire qu’avant de partir, j’ai fait le ménage, les plafonds, la poussière sur le dessus des meubles. Comme toutes les femmes, en me disant que s’il nous arrive quelque chose, je n’aimerais pas qu’on dise que ma maison était sale. Maintenant…» Elle balaie du regard les ruines.

Ils sont arrivés à Hautmont à 15 h 30 : il a fallu passer les barrages des CRS, montrer les papiers d’identité pour prouver qu’on habite ici. «En remontant la rue Aimé-Collet, on a vu beaucoup de toits, de volets abîmés, mais on voyait les murs encore debout. Je me disais, ça va encore.» Mais quand elle est arrivée devant chez elle, rue du Vélodrome, dans la zone la plus touchée, comme bombardée, là où trois de ses voisins sont morts, elle s’est effondrée. En pleurs. «Vous vous dites qu’il y a trente ans de votre vie qui sont partis. Que c’est un rêve, que je vais me réveiller. On vit dans un nuage. Ce n’est que dans les films qu’on voit des trucs comme cela. Le passé est là, toute notre vie. On n’a même plus une fringue.» Elle relève la tête, les amies sont là autour d’elle, à l’écouter, elles font diversion. Parlent des petites culottes. Martine rit : «On les a retrouvées dans les arbres. Les hommes ont demandé : "C’est à qui ?" Je ne voulais pas répondre, mais mon sourire en a dit trop.»

Visages fermés. Leur maison, ils l’ont construite de leurs mains, au fil des années. «Quand on l’a achetée, en 1970, elle n’avait que deux pièces», raconte Martine. Juste avant la tornade, c’était une belle demeure de 180 mètres carrés, coquette, ouverte aux amis pour des repas dont tous gardent le souvenir. «Quand des gens venaient avec leurs enfants, je ne sortais pas mon service en cristal, de peur qu’ils cassent un verre», se souvient Martine, qui se glisse dans l’autodérision comme dans une armure. Son mari parcourt les décombres. «Tant d’heures de travaux passées pour rien.» Rosario a le visage fermé, désespoir rentré. «Douze ans sans vacances. Juste avant de partir, j’avais terminé tout ce qu’il y avait à faire, la terrasse avec la table et les bancs de pierre, la balustrade, pour être tranquille. J’ai dit à ma femme : "Ça y est, on peut commencer à vivre, à profiter avec les enfants." On rentre, et il faut tout recommencer.» On évoque les aides, les experts, les assurances. Il secoue la tête, regard rivé au sol. «Je m’en fous de l’argent. Tout ce qu’on a fait ici, pour ça, c’est ça que je ne comprends pas.»

Dans les ruines, il ne reste pas grand-chose. Les amis, la famille s’activent pour récupérer le maximum. Pas de pompiers visibles, malgré le dispositif que la préfecture du Nord assure avoir mis en place. «Il suffit de demander et un pompier accompagne les familles quand elles entrent dans les maisons pour récupérer leurs affaires», explique-t-on. Mais les Franciamore, en état de choc, n’y ont pas pensé, n’ont pas demandé. Alors, c’est la débrouille. «Chacun sa merde», lâche sèchement Martine. Dans la rue, la colère est forte. Ils ont tous vu passer, lundi, la ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie. «Mais on n’a vu personne pour venir nous aider, on est abandonnés», s’exclame un habitant, lui aussi sinistré. Les voisins veulent s’organiser en collectif pour faire remonter leurs besoins en mairie. «On n’a pas assez de cartons pour les affaires, on n’a pas de lieu de stockage», résume l’une des filles des Franciamore. Surtout, les lieux ne sont pas sécurisés. Un homme, balai à la main, râle : «Ça se serait passé en Afghanistan ou ailleurs dans le monde, il y aurait déjà les militaires.»

Stéphanie Maurice