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Chez Auchan, pour un salarié acheté, c'est un actionnaire offert


ÉCONOMIE - «A Auchan, on nous berce, non pas d’illusions, mais de résultats financiers», ironise Bruno Delaye, secrétaire CFTC, le syndicat majoritaire dans le groupe de grande distribution. «Nous sommes tous actionnaires. Ce qui est parfois contradictoire avec des revendications syndicales.» Selon la direction des ressources humaines, 97 % des 51 500 salariés d’Auchan France possèdent des parts dans l’entreprise : leur participation annuelle étant bloquée cinq ans, ils choisissent le plus souvent de l’investir dans l’action maison, Valauchan. Ce qui a été extrêmement rentable.

Notamment dans les années 80, où Valauchan pouvait progresser de 40 à 50 % sur un an. Sa valeur est fixée par un comité d’experts indépendants, en fonction du cash-flow, du résultat net et de l’endettement. Totalement déconnectée de la Bourse.

Sbam. C’est ainsi que Thérèse Godonou, hôtesse de caisse, est devenue une légende maison : elle est partie à la retraite avec un vrai pactole, 480 000 euros. «Cette histoire est vraie», confirme Jean-André Lafitte, directeur des ressources humaines d’Auchan France. «Elle est retournée dans son pays, le Sénégal, où elle s’est fait, je crois, construire une maison. C’était une personne qui véhiculait naturellement l’esprit de l’entreprise. Il fallait voir comment elle s’adressait à ses collègues quand elles ne souriaient pas aux clients», s’enthousiasme-t-il. Auchan a inventé le principe du Sbam (sourire, bonjour, au revoir, merci), sorte de formatage et de rationalisation de la politesse, à respecter pour chaque personne qui passe en caisse.

Ici, le salaire est complété par trois primes : la prime de progrès, un intéressement qui dépend des bénéfices de l’hyper où on travaille et qui tombe tous les trimestres ; une prime individuelle et annuelle, qui varie selon le nombre d’objectifs atteints par le salarié, fixés et évalués lors d’un entretien avec son responsable direct ; enfin, la participation annuelle. Au total, Auchan a reversé, en 2007, 41 % de ses bénéfices à ses employés. Et le fonds commun de placement Valauchan pèse 1,5 milliard d’euros. «Vous êtes quelqu’un de bon et de reconnu sur un site qui marche bien, vous pouvez gagner 16 ou 17 mois de salaire», note Guy Laplatine, délégué CFDT. «C’est un mode de rémunération redoutable pour la culture syndicale. Gérard, sur ce coup-là, a été un visionnaire», dit-il, avec une pointe de respect.

Gérard, c’est Gérard Mulliez, le fondateur, qui a dirigé le groupe jusqu’en 2006, et qui vient de dépasser Bernard Arnault au classement Challenges des plus grandes fortunes professionnelles. «Il souhaitait que les salariés jouissent du fruit de leur travail», raconte Jean-André Lafitte. «En 1967, le général de Gaulle a créé la participation et Gérard l’a instaurée dès 1968.» Gérard Mulliez reste dans la droite ligne du patronat chrétien du Nord, persuadé que «le jardinier est meilleur s’il est propriétaire de son petit bout de terre. Il se base sur l’encyclique de Jean XXIII, qui dit que la propriété privée est facteur d’épanouissement», explique Bertrand Gobin, auteur du livre Le Secret des Mulliez.

Chaque recrue passe par une formation sur l’économie d’entreprise. «Nous avons le devoir de former nos futurs actionnaires, insiste Jean-André Lafitte. Il faut voir la fête des actionnaires, une fois par an. C’est la fête à Gérard. Les contrôleurs de gestion présentent les chiffres, et ils arrivent à faire applaudir la baisse des frais de personnel par les salariés. Alors que c’est eux, les frais de personnel !», raconte Guy Laplatine.

«Epicier». Le revers de la médaille, c’est le stress, dans un secteur extrêmement concurrentiel, pour maintenir les bénéfices : «Moi, je me suis fait allumer par mes collègues parce que je ne plaçais pas assez de produits. Inconsciemment, il y a l’exigence d’une super efficacité, parce que cela va impacter le résultat individuel», explique un approvisionneur de rayons.

Sans compter que Vianney Mulliez a succédé à Gérard à la tête du groupe : «Vianney est un financier, Gérard avait un profil d’épicier. La pression a changé, elle est devenue beaucoup plus contemporaine», décode Bertrand Gobin. Bruno Delaye, de la CFTC, analyse : «Si Valauchan perd de sa valeur, ce serait un cataclysme. La politique de ressources humaines deviendrait difficile.» Jean-André Lafitte balaye ces doutes : «L’international prend le relais, la France ne fait plus que 52 % du chiffre d’affaires.» Quant au stress, il s’exclame : «Les gens se mettent seuls la pression pour que leur patrimoine se développe. Nous sommes dans un management participatif, où tout le monde est gagnant.»

Stéphanie Maurice