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Ch'ti spleen


FOOT - «T’es pas tout seul, Lucien !» Le supporter lensois vient d’apostropher Lucien Aubey, arrière gauche du RC Lens, «coupable» d’un but qui précipita la défaite (1-3) des Nordistes samedi face au Mans. Le fan Sang et Or pèse bien son quintal. Il a des yeux de biche. Le défenseur se retourne, marmonne ses excuses pour la cinquième fois, lève le pouce. Il disparaît dans la nuit. FOOT - «T’es pas tout seul, Lucien !» Le supporter lensois vient d’apostropher Lucien Aubey, arrière gauche du RC Lens, «coupable» d’un but qui précipita la défaite (1-3) des Nordistes samedi face au Mans. Le fan Sang et Or pèse bien son quintal. Il a des yeux de biche. Le défenseur se retourne, marmonne ses excuses pour la cinquième fois, lève le pouce.

Sûr qu’Aubey s’est senti seul. Nous aussi, mais pas pour les mêmes raisons. Ça avait pourtant commencé au mieux : la flotte s’insinuait de partout en bourrasque sur les travées clairsemées du stade Félix-Bollaert, jusqu’à vous glacer la plante des pieds en moins d’une dizaine de minutes. Pour le ch’ti, ça vaut toutes les madeleines de Proust ; le foot pour réchauffer les cœurs, une virée au stade comme un Noël, la mère aimante qui glisse le papier journal, plus une couche de gras, plus encore du papier journal (authentique) entre les deux tee-shirts de rigueur sous le pull-over. Surtout, durant la partie, on s’est pâmé - comme tout le monde - devant le récital complètement baroque du milieu manceau Koffi Ndri Romaric, un kaléidoscope de football, qui fut formé dans la fameuse Académie de Sol Béni, une sorte de laboratoire à champions monté en Côte d’Ivoire par le Français Jean-Marc Guillou.

Le plus beau, ce fut quand un observateur belge nous fit partager celle-là : «Un jour du mois d’août 2005, Romaric - alors à Beveren - débarque en retard pour un match à Saint-Trond ; on jouait déjà depuis une demi-heure. Il est arrivé tranquille, en jean, avec un maillot du Milan AC et des claquettes. Pourquoi les claquettes ? "Parce qu’il fait chaud" , qu’il répond. On lui prête des chaussures. Il s’échauffe à la mi-temps. Et il gagne le match à lui seul en seconde période.» A Lens, on a vu un truc : Romaric qui file tirer un coup franc et Hassan Yebda, le plus jeune et le moins «installé» des joueurs sarthois samedi, qui l’en dissuade : «Ne te disperse pas.»

Cheminées. Tout capitaine qu’il est, Romaric a baissé la tête et obéi à l’impétrant. L’Ivoirien dit souvent que les autres l’aident énormément. Il se passe quelque chose autour de ce type. Il se passe aussi quelque chose dans la maison Sang et Or. Forcément, on était là pour ça. Ces moyens pharaoniques (le 5e budget de France pour la 15e place (1) aujourd’hui) et ces résultats en peau de lapin, ce jeu collectif en souffrance. Un supporter, après la tannée de samedi : «Il faut défendre le clocher. Sauf qu’il n’y a plus de clocher.»

Ben non. Le Racing en est là. Ce n’est pas d’aujourd’hui. Mais là… En fait, on s’est fait raconter des histoires de cheminées. Quand Guy Roux est arrivé au club en juin dernier (il en est reparti en septembre), il s’est mis les supporteurs artésiens dans la poche ainsi : «J’ai toujours la lampe de mineur que vous m’avez offerte pour mes 60 ans. Elle n’a jamais quitté le dessus de ma cheminée.» Puis, le grand homme s’est mis à la recherche d’une maison dans le coin. L’une a fini par faire l’affaire… à la condition d’y construire une cheminée. Un gars est venu faire le devis. Pour rien : au dernier moment, le coach au bonnet s’est rabattu sur une maison de maître avec piscine - le «avec piscine» fait toujours marrer dans ces contrées - du côté de Vimy, terre martyre de la Première Guerre mondiale où trône un imposant mémorial canadien. Roux a parlé de sa «fierté». On en pense ce que l’on veut.

On peut aussi diversement apprécier l’attitude de son successeur au poste, Jean-Pierre Papin, qui faisait pleuvoir les truismes - «on n’est pas malade», «on n’est pas mort» - comme à carnaval samedi. L’ancienne coqueluche du Stade-Vélodrome laisse une impression étrange, ambivalente. Quand la bouche dit «Il y a des motifs d’espoir», les yeux sous-titrent «Avec les tromblons qui me tiennent lieu de joueurs, on n’est pas rentré». La succession de Guy Roux, ce chemin de croix qui n’en finit plus ?«Je savais parfaitement que ce serait compliqué.» Ses joueurs ? «Quoi qu’il advienne, les gars qui sont là ne partiront pas tous au mercato d’hiver [manière de dire : il va bien falloir faire avec, ndlr]. Après, un ou deux joueurs seraient bienvenus.»

Aujourd’hui, les Artésiens sont dans un no man’s land - jamais vraiment innocent, ni tout à fait responsable - où il importe déjà d’ouvrir la porte de derrière. Des fois que les événements se précipiteraient. Le gardien croate Vedran Runje, à propos du premier but : «Je sais que ça ne se dit pas mais quand ton défenseur se troue au premier poteau, après, forcément…» Le milieu Jonathan Lacourt : «Tout le monde n’a pas fait les efforts en même temps. Bon, il y a des matchs comme ça. Mais ce n’est pas un problème physique, c’est plus profond. Quand tu passes ton temps à courir derrière un ballon que tu n’as jamais, tu fatigues vite.» Attention : c’est aussi un tropisme nordiste qui déclenche respect et tendresse dans le subconscient du fan, cette manière de se tenir droit dans ses bottes et les pieds dans le ciment pendant que l’adversaire biaise à n’en plus finir avec le cuir et l’affrontement pur, fantasmatique, que l’on révère en Artois.

Existentiel. Mais le foot a changé. Les pseudo-valeurs d’abnégation ont vécu («parce que ça ne court pas à Toulouse ou Nice ?», dixit un ancien de la maison), les joueurs vont et viennent et Lens a rejoint cette antichambre tapissée de velours où Monaco, l’Olympique de Marseille ou le Paris-SG soupèsent leur malaise existentiel. Pas facile à avaler. Après le match, on est parti se poser dans une pizzeria bondée, où passait l’émission de Canal Jour de Foot. Quand Papin est apparu sur l’écran pour parler, tout le monde s’est tu d’un coup. Les gens l’ont écouté en silence. Après l’intervention du coach lensois, un type a lancé : «Allez, ça va… Il ment. Il n’y a rien.» Personne n’a relevé. Les habitués du stade Bollaert attendent quelque chose. Mais quoi, au juste ?

Grégory Schneider, envoyé spécial à Lens

(1) Avant le Auxerre-PSG d’hier soir.

Photo Reuters