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«Je suis déjà venu pour mon pied, je suis bon client»


SOCIÉTÉ - Ali Hussein, 19 ans, menuisier à Sulaymaniya, Kurdistan irakien, sourit au Dr Mohamed El Mouden, médecin urgentiste à Calais : «Je suis déjà venu deux fois pour mon pied, je suis un bon client...». Cette fois, c'est l'oreille. Mordue dans une bagarre, dans la forêt, où il dort, entre cartons, plastiques et couvertures. La dernière fois, une foulure, en sautant en marche. Comme des centaines de migrants sur le littoral, Ali Hussein cherche à passer en Angleterre, en se glissant

Pour se comprendre, il faut passer par Reza Akbari, le traducteur afghan, qui parle persan. Le migrant : «La douleur m'empêche de dormir». Il fait signe avec ses mains qu'il faut coudre. Le médecin : «Trop tard, après six heures, vous risqueriez un abcès».

L'Angleterre, autrefois accueillante, n'offre plus d'avantages depuis qu'on a fermé le centre de Sangatte en novembre 2002. Mais cinq ans après, les migrants veulent toujours y aller. Là, on parle anglais, et puis on trouve facilement du travail au noir. Les autorités françaises ne veulent pas de ces migrants, mais ont convenu de les empêcher de passer. Le risque, c'est l'expulsion, notamment pour les Afghans. Pour les autres, la prison pour séjour irrégulier, le centre de rétention, puis à nouveau la forêt et les camions. La plupart mettent des mois avant de passer, mais ils passent.

En attendant, il faut tenir sous le camion, sans se faire repérer. Et à l'intérieur, respirer sous un plastique, pour éviter le détecteur de CO2.  Sauter si le camion part vers la Belgique. Fuir la police qui les chasse la nuit dans Calais, et les déloge le jour de leurs campements de fortune. Echapper aux routiers, parfois très énervés. Les bénévoles de l'association d'aide aux migrants Salam (1) signalent qu'un Afghan a été tabassé par des skin-heads au printemps. Laissé pour mort, il est sorti très fragile du coma.

Tous les après-midis, la permanence d'accès aux soins de santé de Calais, en face du lycée Pierre de Coubertin, un peu à l'écart du centre ville, reçoit entre dix et quinze migrants, sans-abri et sans-papiers, malades ou blessés. Parfois un calaisien précaire, pour qui la permanence avait été au départ créée.
La Pass a intégré les migrants fin 2006, après des années de bénévolat de Médecins du Monde, Médecins sans frontières, et quelques bonnes volontés parmi les médecins et infirmiers de la région. Elle est financée par l'Etat, via la Caisse primaire. Budget? L'hôpital ne souhaite pas donner de chiffres. Il faut conmpter, à mi-temps, une infirmière, Céline Dallery, le traducteur, et des médecins vacataires, payés 150 euros l'après-midi, à peu près deux fois moins que dans leur cabinet.

Le Dr Philippe Lévisse, généraliste à Ambleteuse, vient une après midi par mois. Au temps où Médecins du Monde assurait la permanence, il était bénévole. «Ils sont perdus au bout du monde démunis de tout. On a connu Sangatte. On sait que c'est pire aujourd'hui, parce qu'ils sont sans-abri, et pourchassés. Quand un confrère que j'apprécie m'a dit qu'il y allait, j'ai dit "J'y vais aussi"».

Voilà Ali. Iranien, grand brun aux yeux verts, 22 ans. Il s'est battu dans la forêt, avec un passeur, encore. Pour l'Angleterre, on paie entre 500 et 1000 euros, le passeur vous glisse dans le camion, parfois avec l'aide du chauffeur, le plus souvent à son insu. Sans argent, il faut faire ça seul, et être prêt à se défendre, parce qu'alors, les passeurs deviennent des ennemis. Les petites frappes prêtes à sortir le couteau réclament un péage pour l'accès aux camions, sur les aires d'autoroute qui convergent vers Calais. Sinon, se faufiler. L'Iranien : «J'ai mal quand je marche plus de deux heures, c'est comme si mon genou devenait sec à l'intérieur». Lui aussi, la douleur le réveille la nuit. «Traitement antalgique», répond le médecin, «si ça ne va pas mieux, on regardera si c'est pas le ménisque». Reza traduit, le migrant ouvre des yeux inquiets. Toute faiblesse du corps est un drame.

«Ils s'autorisent à pleurer ici» raconte Céline. «Je  me souviens d'un jeune homme qui avait perdu son père, tué par les Talibans en Afghanistan. Sa mère était restée toute seule avec ses frères et soeurs. Il s'inquiétait pour eux. Il a laissé couler ses larmes. Ici, ils sont à l'abri».

H.S.

(1) Les associations de secours aux migrants à Calais : le Secours Catholique, La Belle Etoile, C'Sur, Salam. Avec le froid qui arrive, elles ont besoin d'habits, de couvertures, et d'argent.

photo Pascal Rossignol/Reuters